Réguler le marché de la compensation carbone volontaire : les recommandations de la task force de Mark Carney
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Réguler le marché de la compensation carbone volontaire : les recommandations de la task force de Mark Carney

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Un an après les premières recommandations de la task force sur le marché de la compensation carbone volontaire, Capitaine Carbone revient sur ces propositions qui font écho aux décisions prises par la COP26. Greenwashing, double comptage, mécanisme enrichissant les pollueurs, ce groupe de travail initié par le secteur privé s’inscrit dans un contexte où le système de la compensation carbone volontaire fait face à de nombreuses critiques. Ces recommandations structureront-elles le marché jusqu’à le rendre résilient, robuste et intègre ? C’est en tout cas le pari que s’est lancé la TSVCM.

Qu’est-ce que la TSVCM ?

Créé en septembre 2020, la Taskforce on Scaling Voluntary Carbon Markets (TSVCM) ou groupe de travail sur la mise à l’échelle des marchés carbone volontaires est une initiative privée menée par l’Institute of International Finance (IIF). Ce groupe de travail est dirigé par Mark Carney, ancien gouverneur de la banque d’Angleterre et conseiller financier du premier ministre britannique lors de la COP26. Il a pour objectif de rendre compatible les marchés carbone volontaires avec les enjeux de l’Accord de Paris. Composé d’investisseurs, de labels, de porteurs de projets mais également d’entreprises, la TSVCM a une double fonction : garantir des crédits carbone de haute intégrité et assurer la robustesse ainsi que la transparence des marchés carbone volontaires.1

Aujourd’hui, le mécanisme de la compensation carbone volontaire fait face à de nombreuses protestations. Considéré par certains comme une fausse bonne solution, ce marché permettrait aux entreprises les plus émettrices de GES de s’acquitter des conséquences environnementales de leurs activités en se procurant des crédits carbone à bas prix. Il devient donc primordial de redonner confiance aux investisseurs et porteurs de projets dans ce système. Rappelons-le, la compensation carbone volontaire reste à ce jour un des leviers importants à disposition des entreprises qui souhaitent contribuer à la neutralité carbone.

Les recommandations de la TSVCM

Fin janvier 2021, le groupe de travail publia ses 20 premières recommandations dans son rapport final de la phase I. Six mois plus tard, l’organisme publia un second rapport mettant à jour certaines notions préétablies répondant ainsi aux 130 remarques et suggestions reçues. Ces recommandations sont en lien avec 6 sujets d’action : 

  • Les principes fondamentaux du carbone et l’attribution d’une taxonomie, 
  • Les contrats de référence sur le carbone, 
  • L’infrastructure (commerce, financement, données), 
  • Le consensus sur la légitimité de la compensation, 
  • L’assurance de l’intégrité des marchés,
  • La demande,

L’une des recommandations phare de la TSVCM serait de mettre en place un organe de gouvernance indépendant qui garantirait l’intégrité des crédits carbone existants et donc par voie de conséquence, l’intégrité du système lui-même. Pour cela, la TSVCM a établi un plan directeur pour ce futur organe de gouvernance précisant ainsi son mandat, sa structure organisationnelle, ses sources de financement et un processus pour sa mise en place. 

Une autre mesure consiste à développer une plateforme de mise en relation fournisseurs-financiers pour les projets proposés permettant ainsi la mise à l‘échelle rapide des marchés. Cette plateforme centraliserait l’historique du développement des projets dans le but d’avoir une traçabilité de chaque projet.

D’un point de vue législatif, la TSVCM appelle à une uniformisation du cadre juridique dans lequel évolue tous ces marchés carbone. Des procédures d’intégration dans le système à l’utilisation des crédits carbone sur le marché, cette recommandation sous-entend qu’il faudra normaliser la responsabilité des diverses parties prenantes à travers un langage commun. En d’autres termes, la gouvernance sera à même de suspendre les services et/ou fermera le compte de l’utilisateur si elle soupçonne que ce dernier s’est livré à une activité frauduleuse, illégale ou contraire à l’éthique du marché dans lequel elle se trouve. Pour ne suggérer aucun abus, l’organe de gouvernance définira un seuil minimum des pratiques interdites. La TSCVM contribuera également à l’élaboration des clauses des conditions générales de vente.

Une autre grande recommandation consiste à établir un ensemble de « Principes fondamentaux du carbone » (Core Carbone Principles). L’objectif est d’assurer de véritables réductions d’émissions avec une grande intégrité environnementale, sans aucun effet secondaire social ou environnemental négatif. Ces principes établissent donc des critères de qualité auxquels un crédit carbone doit se conformer. « Actuellement, la liquidité des marchés volontaires du carbone est fragmentée ». Les projets ont une gamme d’attributs (type de projet ou localisation géographique) qui peuvent influencer sur la valeur des crédits carbone générés. Cet ensemble de principes contribuera donc à l’attribution de normes pour garantir une intégrité élevée du système.

L’établissement de principes fondamentaux de carbone de cette manière renforcerait la confiance et la crédibilité dans les marchés volontaires du carbone, permettant au marché de se développer avec plus de succès.
La TSVCM dans son rapport final de janvier 2021

Ces recommandations ont également fait naître de nouvelles ambitions. Parmi elles, la TSVCM souhaiterait sensibiliser le public aux co-bénéfices que le marché volontaire du carbone peut générer en tant que solution complémentaire aux réductions d’émissions. Pour cela le groupe de travail engagera ses parties prenantes pour stimuler l’offre mais également la demande.2 De façon plus pragmatique, la task force de Mark Carney a établi que nous devrions nous contenir à un budget carbone de 570 gigatonnes (Gt) de CO2 émises entre 2018 et 2050 si nous voulons rester sous la barre des 1,5°C d’ici 2050. Cet objectif exige que les émissions nettes de GES diminuent de 23 Gt d’ici 2030. Par analogie, cette réduction représenterait environ 4 fois ce qu’émet annuellement la France en terme de GES.3 Étant donné que les crédits carbone peuvent aider à financer à la fois des mesures d’évitement, de réduction, d’élimination et de séquestration, il est probable que la mise à l’échelle du dispositif forcera les acteurs de la compensation carbone à multiplier par 15 au minimum d’ici à 2030 le volume d’argent que génère les crédits carbone.

Une initiative privée qui ne fait pas l’unanimité

Cette initiative du secteur privé ne plaît pas à tous les acteurs de la compensation carbone volontaire. Certains émettent même quelques réticences face à ces recommandations. C’est le cas par exemple du label GoldStandard développé notamment par l’ONG WWF. Dans une lettre ouverte le label souligne les principales limites en formulant ses propres recommandations afin de rendre ces efforts plus crédibles.4 Outre le fait que dans le fond ces recommandations ne résolvent pas tous les problèmes liés au principe même des marchés carbone volontaires, dans la forme, faire appel aux entreprises les plus polluantes (TotalEnergies, BP, Shell) pour apporter des conseils et avis sur la question de la compensation carbone volontaire est également source de critique. A voir maintenant si les recommandations de la TSVCM associées aux décisions prises par les pays membres de la CCNUCC lors de la COP26 auront un impact positif sur les différents marchés de la compensation carbone volontaire.

Sources :

Crédit Photo : Pexels.com

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