L’usage de pratiques agricoles non durables entraîne la dégradation de tout un écosystème (pollution des sols, de l’air, de l’eau, perte de biodiversité, surexploitation de ressources naturelles terrestres), un écosystème dans lequel nous sommes les principaux protagonistes. Ces pratiques ont également des conséquences funestes pour le climat et contribuent au réchauffement climatique. Il existe heureusement de nombreux leviers de réduction d’émissions permettant de décarboner ce secteur en pleine mutation.

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État des lieux des émissions du secteur agricole

Aujourd’hui, l’agriculture représente 1/5 voire 1/4 des émissions nationales de gaz à effet de serre (GES) avec 85 MtéqCO2/an. À l’échelle continentale, c’est 12% des émissions d’éqCOsoit 494 MtéqCO2/an. En France, l’agriculture est le deuxième poste d’émissions de GES (19%) derrière celui des transports (31%).1

Répartition des émissions nationales de gaz à effet de serre dans l’agriculture (Métropole et Outre-mer UE).
Source : CITEPA, rapport Secten 2020 

La répartition des émissions de GES du secteur agricole est caractéristique puisque contrairement aux autres secteurs (industrie, énergie, transports, etc.) seulement 13% des émissions de GES cumulées correspondent aux rejets de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. Cette part correspond aux émissions de GES liées à l’utilisation d’engins agricoles et sylvicoles tels que des engins mobiles non routiers, des chaudières ou encore des moteurs thermiques. Dans l’agriculture, les principales sources d’émissions émanent de processus biologiques bien particuliers tels que la fermentation entérique (digestion des ruminants), la gestion des effluents ou encore le stockage d’engrais azotés. En 2019, le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O) représentaient respectivement 45% et 42% des émissions totales de GES soit 38,2 et 35,7 MtéqCO2.Le secteur agricole est également responsable de 80% des émissions nationales de protoxyde d’azote (N2O), de 68% des émissions de méthane (CH4)2 et de 90% des émissions d’ammoniac, un gaz qui lorsqu’il se vaporise dans l’atmosphère s’associe aux oxydes d’azote et au soufre (S) contribuant ainsi à la formation de particules fines dans l’atmosphère.3

Répartition des émissions nationales d’éqCO2 par pratiques agricoles entre 1990 et 2019 (Métropole et Outre-mer UE). Source : CITEPA, rapport Secten 2021 

D’après le rapport Secten 2021 réalisé par le CITEPA (Centre Technique de référence En matière de Pollution Atmosphérique et de changement climatique), les pratiques agricoles les plus polluantes sont l’élevage (bovins, porcins, volailles, etc.) avec 41 MtéqCO2 et la culture (engrais et amendements minéraux / organiques, pâture, brûlage de résidus agricoles, etc.) avec 38 MtéqCO2. On peut également constater qu’en presque 30 années, le niveau des émissions d’éqCO2 dans le secteur de l’agriculture reste assez constant. Quels peuvent donc être les leviers actionnables pour faire partir à la baisse la courbe des émissions du secteur agricole ?

Au-delà de pouvoir réduire les émissions de GES liées à son activité, un agriculteur peut faire de ses exploitations, de bons vecteurs de puits de carbone (haies bocagères, forêts, etc.). C’est ça l’agroécologie. En 2020, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation identifiait à -30 MteqCO2/an le bilan de puits de carbone du secteur des terres.1 Preuve que l’agriculture peut nous aider à contribuer à la neutralité carbone. 

Pourquoi décarboner le secteur agricole

Entre 1990 et 2019, les émissions de GES (hors CO2 biomasse) du secteur agricole ont diminué de 10%. Or, en 1990, l’agriculture était responsable de 17 % des émissions de GES en France, aujourd’hui, ce taux monte à 19%. Cette croissance est principalement due à l’augmentation des émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O) présentant un haut potentiel de réchauffement global. Il devient donc urgent d’agir plus vite et de soulever les bons leviers d’action pour décarboner un secteur encore trop peu accompagné.

Avant de décarboner penser à évaluer

Adopter une agriculture plus responsable au travers de pratiques vertueuses c’est d’abord s’informer. S’informer sur les grands enjeux au cœur de la profession d’agriculteur (santé, social, biodiversité, sécurité alimentaire, aménagement de l’espace, etc.).

Pour cela, Capitaine carbone vous propose quelques ressources : 

Après s’être informé, il faut pouvoir identifier les postes d’émissions afin d’établir un plan d’action efficace. Il est donc intéressant d’effectuer un bilan carbone de son exploitation : 

À noter que dans la réalisation d’un Bilan Carbone, figurent toutes les étapes de réflexion autour des grands enjeux de notre société. De la sensibilisation aux défis qu’impose le réchauffement climatique à l’application des mesures décidées en passant par l’établissement du périmètre couvert par le bilan, toutes ces étapes sont décrites puis évaluées telles qu’il en a été décidé par l’ADEME (l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie).

Réduire les émissions de son exploitation en fonction de ses pratiques agricoles

Il existe à ce jour de nombreuses opportunités pour un agriculteur de réduire les émissions de GES de son exploitation. Parfois même, des mesures de réduction d’émissions ont déjà été prises sans même qu’on y mette l’étiquette « réduction d’émissions ». Selon les types de sous-secteurs, il existe différentes manières de réduire ces rejets de GES. 

L’élevage :

Ce sous-secteur agricole émet principalement du méthane (CH4) et de l’ammoniac (NH3). Le cheptel bovin est, en moyenne, responsable de 62 kg de CH4 par an et par tête ainsi que de 39% des émissions d’ammoniac (NH3). Ces émissions sont liées à la fermentation entérique des animaux d’élevage et à la gestion de leurs déjections.

Répartition des émissions nationales de CH4 dans le sous-secteur agricole de l’élevage entre 1990 et 2019 (Métropole et Outre-mer UE). Source : CITEPA, rapport Secten 2021 

  • La méthanisation
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Concernant le méthane, peu de technologies aujourd’hui permettent de valoriser ce gaz. Il y a cependant la technique de méthanisation. Cette technologie assez mature fait appel à un procédé biologique qui dégrade la matière organique via des micro-organismes (bactéries hydrolyse, acidogénèse, acétogénèse et méthanogénèse). Des suites de cette dégradation, en résulte un biogaz principalement composé de méthane (CH4) ainsi qu’un résidu organique bien tangible : le digestat. Le biogaz peut être source d’énergie électrique comme thermique. Le digestat, lui, peut être répandu sur les champs comme un puissant fertilisant. 

Adopter une démarche de méthanisation c’est donc faire le choix de valoriser la matière organique récoltée dans son exploitation (effluents d’élevage, matières végétales agricoles, déchets agroalimentaires, biodéchets, etc.). En 2019, la base de données SINOE comptabilisait 584 méthaniseurs sur le territoire français métropolitain. Cette initiative permet aux agriculteurs d’économiser de l’énergie, de l’argent mais également de réduire les émissions de méthane (CH4). Les chambres d’agriculture des Pays de la Loire estiment qu’en 2030, la réduction de GES liée au principe de méthanisation sera de 5,8 MtéqCO2/an.

Pour en savoir plus et se lancer dans l’établissement d’un projet de méthanisation cliquez-ici.

  • La couverture des fosses à lisier
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Concernant l’ammoniac (NH3), une des techniques déjà en place consiste à recouvrir et étancher le lisier (mélange liquide de déjections d’animaux d’élevage) présent dans une fosse. Cette pratique permet non seulement de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre (de l’ordre de 35 à 50% pour l’ammoniac) mais elle permet également d’optimiser les coûts liés à l’épandage de l’engrais puisque ce dernier est plus volumineux. Qu’elle soit faite de textile, en charpente, avec ou sans mas, la couverture de fosse à lisier offre ainsi un engrais de qualité, plus concentré en éléments nutritifs tels que le potassium (K), le calcium (Ca) ou encore le phosphore (P). À noter également que cette pratique oblige les exploitants à adapter leur épandage puisque le volume de l’engrais diffère.

  • Ajuster les rations alimentaires
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Il est possible de réduire ses émissions de GES en ajustant la quantité des portions d’aliments apportées aux animaux. Cette pratique permet de réduire la quantité de fourrage et la quantité d’engrais. Au total, 0,7 MtéqCO2/an pourraient être économisées en 2030. Une gestion plus précise de l’alimentation de son élevage est à la fois plus écologique mais aussi plus économique. Dans un élevage de porcs, l’ajustement des quantités d’aldéfisiments reviendrait à économiser 50 € du coût alimentaire d’une truie sur un an. Dans une exploitation bovine, l’économie avoisinerait les 25 € par vache et par an. 

Tout ce qu’il faut savoir sur l’ajustement des rations d’animaux ici.

La culture

La culture est le second sous-secteur agricole émetteur de GES. Sur les 89% d’émissions de protoxyde d’azote(N2O) nationales dues à l’agriculture, les pratiques agricoles liées à la culture des terres (engrais, amendements, pâture, etc.) contribuent à hauteur de 85% des émissions de N2O.4 À l’instar du méthane, le protoxyde d’azote présente lui aussi un haut potentiel de réchauffement global (310 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone CO2). C’est pourquoi il est important de limiter le plus possible sa propagation dans notre atmosphère. 

Répartition des émissions nationales de N2O dans le sous-secteur agricole de la culture entre 1990 et 2019 (Métropole et Outre-mer UE). Source : CITEPA, rapport Secten 2021 
  • Adopter une fertilisation équilibrée
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Avant de rentrer en détail dans cette pratique agroécologique, il faut savoir que l’azote (N) est un élément nutritif essentiel à la fertilisation des terres. Il joue également un rôle majeur dans le processus de photosynthèse. Cette démarche permet de réduire le coût lié à l’achat d’engrais mais également de limiter l’utilisation de fertilisants, supprimant par la même occasion 2,6 MtéqCO2/an à partir de 2030. En adoptant une fertilisation équilibrée, l’agriculteur détermine en amont (avant épandage et fertilisation) la dose optimale d’azote (N) que doit recevoir sa parcelle.

Pour cela plusieurs outils d’aide au pilotage agronomique sont à sa disposition :

À noter que cette liste n’est pas exhaustive et qu’il existe d’innombrables solutions pour analyser les besoins en azote des parcelles agricoles (mesures terrains, images satellites, etc.).

  • Installations de couverts en interculture
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Depuis 1991, l’Europe au travers de la « directive nitrates » impose l’utilisation d’une couverture de végétaux des sols agricoles dans les zones les plus vulnérables. L’objectif étant de réduire au sein des intercultures, les émissions ou fuites d’azote dans l’eau ainsi que l’eutrophisation issue des activités agricoles. Par la captation de nutriments tels que le phosphore (P), le nitrate (NO3-) et l’azote (N), les couverts végétaux participent à l’assainissement des écosystèmes. Ce type de culture du sol n’intervient qu’entre la rotation de plantations dans une même parcelle. L’installation de couverts végétaux en intercultures participe à la réduction d’émissions de GES (-1,1 MtéqCO2/an en 2030) mais elle améliore également la fertilité des sols réduisant par la même occasion l’usage d’engrais. 

Voici quelques pistes d’outils d’aide à la décision permettant aux agriculteurs de cultiver le bon type de couvert végétal : 

  • Accroître la part des légumineuses dans les cultures
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Les légumineuses présentent un intérêt écologique et économique certain pour les agriculteurs. À la base, ce sont des plantes fourragères ou à graines utilisées dans l’alimentation des herbivores. Dans le domaine agricole, ces plantes fertilisent naturellement les sols puisqu’elles sont capables de fixer l’azote (N) capté dans l’air directement dans le sol. Il est important de bien choisir ses légumineuses en fonction du type de sol cultivé mais également en fonction du climat. Cette pratique vient en complément d’une démarche d’ajustement des rations alimentaires présente dans les élevages puisque les plantes légumineuses fourragères, riches en protéines, peuvent complémenter leur alimentation. Accroître la part des légumineuses dans les cultures pourrait en moyenne contribuer à une réduction de 1,4 MtéqCO2/an à partir de 2030.

L’agro-écologie : au-delà des pratiques agricoles, un état d’esprit au service du bien commun 

Les 3 piliers de l’agroécologie selon les préceptes du développement durable.

Adopter une démarche agroécologique, c’est faire le choix de la résilience. En généralisant ces bonnes pratiques agricoles (BPA), les exploitations deviendront moins vulnérables face aux catastrophes naturelles que banalise le réchauffement climatique. Faire le choix de l’agroécologie c’est également choisir l’autonomie plutôt que la dépendance. Encore aujourd’hui, 3/4 de la consommation d’énergie au sein du secteur agricole provient du pétrole5. D’ici 2050 la tendance doit s’inverser. Enfin, même si cette agroécologie peut prendre différentes formes (agroforesterie, mixité des troupeaux, agriculture sans pesticides, etc.) l’objectif à atteindre, lui, est identique : cultiver mieux et moins, de façon plus durable dans un écosystème ou chaque être vivant compte.

Sources :