La mobilisation des acteurs financiers face à l’urgence d’agir : le cas des banques
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La mobilisation des acteurs financiers face à l’urgence d’agir : le cas des banques

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Le 17 janvier dernier, Reclaim Finance co-publiait avec les Amis de la Terre et 12 autres ONG, un rapport sur la responsabilité des banques et plus généralement des institutions financières face à la crise climatique et l’urgence d’agir. Hasard du calendrier, de nombreux chefs d’États, dirigeants des plus grandes banques et décideurs économiques étaient réunis au même moment lors du Forum Économique Mondial à Davos en Suisse. L’objectif de cette 53ème édition était (entre autres) de renforcer la coopération internationale sur le plan financier dans un monde fragmenté par les crises géopolitiques, sanitaires et environnementales. Bilan établi, les entreprises résistent à l’inflation, mais la mondialisation en prend un coup et avec elle, c’est tout le système financier, autrefois triomphant qui se voit fragilisé. Face à ce constat, Capitaine Carbone tente d’y voir plus clair en s’intéressant à la mobilisation des banques et à leur manière de contribuer à la neutralité carbone.

Préambule : La Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ)pointée du doigt

Pendant que la maison brûle, les banques jettent de l’huile sur le feu. C’est en tout cas ce qu’affirme le dernier rapport de Reclaim Finance qui dénonce les soutiens apportés par les instituts bancaires, détenteurs et gestionnaires d’actifs membres de la GFANZ aux plus grands développeurs de projets d’énergies fossiles comme ExxonMobil, Shell ou encore TotalEnergies. Mais alors qu’est-ce que la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ) et quel est son rôle ?

Représentation des différents membre de la GFANZ – ©Reclaim Finance

Établie en avril 2021 par l’envoyé des Nations Unies pour le climat, Mark Carney, la GFANZ est une coalition d’acteurs financiers qui compte sept alliances sectorielles allant des banques aux assurances en passant par les cabinets de conseils en investissement. Son rôle est double. D’une part, la GFANZ se doit de mobiliser des fondsnécessaires à la mise en place d’une économie mondiale neutre en carbone afin de s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris, d’autre part, elle fournira un forum pour la coordination stratégique entre les dirigeants des institutions financières dans l’objectif d’accélérer la transition vers une économie nette zéro. À noter que les plus grandes banques françaises comme la BNP Paribas, la Société Générale ou encore le Crédit Agricole font partie de cette coalition.1

GFANZ : L’alliance des banques partenaires mais pas engagées

En juin 2022, l’ONU annonce que chaque membre de la campagne Race to Zero se doit maintenant de soutenir l’élimination progressive des combustibles fossiles. Quatre mois plus tard, la GFANZ déclare faire machine arrière et manifeste son retrait de la campagne onusienne. Officiellement, certains membres de l’alliance se seraient sentis pris au piège au vu des nouveaux critères climatiques de plus en plus stricts. Officieusement, les banques américaines et canadiennes auraient fait pression sur l’alliance par peur des retombées médiatiques et juridiques liées à leur activité de financement des énergies fossiles.2

De son côté, Mark Carney l’assure : « les alliances membres sont encouragées à s’associer à la campagne Race to Zero, mais il ne s’agit pas d’une obligation ». Cela signifie donc que ces acteurs ne sont pas contraints de respecter les critères établis, mais ils y sont en revanche vivement encouragés.3

L’empreinte carbone du système bancaire en France

Oui, nos banques polluent. C’est un fait. Dans son rapport intitulé Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré, Oxfam France nous explique qu’en additionnant les émissions de gaz à effet de serre (GES) des 6 plus grandes banques de France (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE, La Banque Postale et Crédit Mutuel) on atteint les 3,3 milliards d’eqCO2  émis soit 7,9 fois plus que les émissions de la France entière.4

Rapport des émissions de GES nationales avec les émissions de GES des 6 plus gros groupes bancaires de France – © Rapport Oxfam France : “Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré”

En ce qui concerne les banques en ligne, ces dernières ne possèdent pas d’argent physique. Pour connaître l’impact carbone de ces banques 2.0 rattachées à de grands groupes bancaires, il faut donc se référer aux pratiques de financement des groupes eux-mêmes. Par exemple pour connaitre l’empreinte carbone d’Hello Bank!, il faudra regarder celui de BNP Paribas.

Pourquoi dit-on que notre argent pollue ?

Les émissions de GES de notre compte en banque représentent notre principale source d’émission. Pour 10€ investis, la Société Générale émet, 6,52kg d’eqCO2 soit l’équivalent des émissions liées à 2 763 km en TGV.5 Pour la Banque Postale, à savoir la banque la moins émettrice des six plus grandes banques françaises, le résultat est divisible par deux et correspondrait à 15km en voiture.Mais alors pourquoi l’argent investi pollue-t-il autant ? 

Parce que notre argent ne reste jamais figé. Il circule en permanence. En confiant notre épargne aux banques, ces dernières l’utilisent pour faire vivre l’activité économique en prêtant aux emprunteurs contre une rémunération sur lestaux d’intérêt. Il arrive aussi que cet argent, notre argent, viennent rendre possible le développement de projets potentiellement climaticides. Il arrive même que notre argent finance notre propre crédit à la consommation. Le problème n’est donc pas l’activité bancaire à proprement parler (même s’il est certain que toutes ces transactions ont un impact sur notre environnement), le problème réside dans les émissions liées aux projets financés par les banques, avec cet argent. 

Entre 2016 et 2020, plus de 3 milliards d’euros ont été dépensés par les banques du monde entier pour financer des projets menés par des entreprises exploitantes des énergies fossiles. Entre 2018 et 2022, les banques françaises auraient augmenté en moyenne de 19% leurs financements alloués aux exploitations de gaz et de charbon alors même qu’elles se sont engagées à contribuer à la neutralité carbone via la GFANZ.Le problème est d’origine systémique. Non, les banques ne sont pas favorables à une transition écologique rapide, car beaucoup d’entre elles possèdent de nombreux actifs liés à la production d’hydrocarbures. Il est donc crédule d’imaginer que d’elles-mêmes les banques puissent arrêter de financer des projets gaziers ou pétroliers en s’attaquant de front à leur stabilité financière. Dans l’hypothèse ou les 6 banques « classiques » françaises continueraient de financer l’économie comme elles le font à ce jour, cela nous conduirait à un réchauffement planétaire de plus de 4°C d’ici à une 2100, soit 2,5°C de plus que la limite à ne pas dépasser.5

Les ONG appellent à une régulation publique

Face au risque de ne pas voir les accords internationaux sur le climat respectés, plusieurs ONG (Oxfam, Reclaim Finace ou les Amis de la Terre) appellent l’État à jouer son rôle de régulateur. Selon elles, les simples engagements volontaires personnels ne suffisent plus et ne permettront pas d’atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris. 

L’Etat doit briser l’addiction des acteurs financiers aux énergies fossiles et utiliser l’arme de la réglementation pour prévenir les chocs climatiques et financiers anticipés.
Oxfam France

Pour ces organisations, l’État doit donc instaurer de nouvelles règles en forçant les banques à mettre en œuvre une stratégie de sortie des énergies fossiles en se conformant à une trajectoire de réduction de leurs émissions. Qui plus est, les ONG ne sont pas les seules à exhorter les banques à sortir des énergies fossiles. En 2018, l’État lui-même, à travers les mots du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, enjoint les banques à cesser tout financement de mines et centrales à charbon mais sans vraiment les contraindre à le faire. Quatre plus tard, en mai 2022 c’est au tour de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) d’appeler tous les acteurs financiers à ne plus investir dans de nouveaux projets d’exploitation d’énergies fossiles. Pour l’organisation, il n’est plus nécessaire de favoriser le développement de tels projets pour répondre à la demande mondiale.8

La baisse rapide de la demande de pétrole et de gaz naturel signifie qu’il n’y a pas d’exploration requise et qu’aucun champ gazier et pétrolier nouveau n’est nécessaire au-delà de ceux déjà approuvés.
Agence internationale de l’énergie (AIE)

Un message qui a du mal à se faire entendre et des actions qui peinent à venir

La pluie de rapports incriminant ces institutions associée à une prise de conscience massive de la part du grand publique force les banques à bouger. Et même si pour beaucoup d’entre elles, tout est une question de réputation et d’investissements sur le long terme, pour d’autres, contribuer à la neutralité carbone est devenu une mission. Certaines banques françaises n’hésitent d’ailleurs pas à enfiler leur costume d’entreprise mécène et à montrer l’exemple. En 2021, la Banque Postale et le groupe de banque et assurance Crédit Mutuel Alliance Fédérale se sont engagés à ne plus financer de nouveaux projets relatifs à l’exploitation d’hydrocarbures. Pour Alexandre Poidatz, responsable plaidoyer climat et finance pour Oxfam, c’est la première fois au monde que des banques de cette taille s’engagent publiquement sur ces sujets.9 Il y a deux semaines, la banque strasbourgeoise est même allée jusqu’à créer un “dividende sociétal” équivalent à 15% des bénéfices nets annuels. Cette enveloppe correspond au versement annuel de 500 millions d’euros (sur la base des résultats de 2021) pour soutenir des projets environnementaux (250 millions) et sociaux (les 250 millions restants).10 Une annonce saluable pour une entreprise qui émettait à elle seule (en 2018) l’équivalent de 65% des émissions de notre pays.5

Quelles sont les banques (et banques en ligne) engagées pour le climat ?

©change-de-banque.org

Banques classiques, banques en ligne, comment être en mesure de distinguer si oui ou non notre banque finance des projets relatifs à l’exploitation d’hydrocarbure ? Comment être sûr que notre argent ne tombe pas dans les poches d’entreprises nocives pour l’environnement ? En 2022, l’organisation non gouvernementale Reclaim Finance a mis en ligne un comparateur de chaque établissement bancaire en fonction de leur positionnement sur la question de financement des énergies fossiles. Le site s’appelle change-de-banque.org et compare toutes les banques classiques, banques en ligne et néobanques de France.

Parmi les bons élèves du classement, on retrouve : 

  • le Crédit Coopératif, une banque du groupe BPCE qui reste cependant indépendante dans sa gestion. Le Crédit Coopératif contribue activement aux objectifs de développement durable (énergie propre, inégalités réduites, partenariat pour la réalisation des objectifs) et a abandonné tout financement d’anciens et de nouveaux projets en lien avec les énergies fossiles.  
  • Hélios, une jeune néobanque française créée en 2019. Sa force ? Helios est engagée sur tous les fronts : agriculture durable, efficacité énergétique, mobilité bas-carbone, etc. Elle place les dépôts de ses clients au sein de Solaris Bank, un établissement allemand. Cependant, 40% de ses fonds sont dirigés vers des obligations vertes pour accélérer la transition énergétique conformément à leur accord contractuel passé avec SolarisBank.11
  • la NEF, l’établissement financier au plus faible impact carbone.12 À noter que la NEF n’est pas réellement une banque. Elle ne dispose pas de l’agrément bancaire, c’est-à-dire qu’elle ne pourra pas proposer de compte courant donc de carte de crédit. En revanche, elle est agréée par l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) comme établissement de crédit. Elle a donc la possibilité d’exercer la collecte de l’épargne et l’octroi de crédits.

Pour en savoir plus sur les banques les plus éthiques de France : comparabanques.fr

Comment donner du sens à son épargne en conciliant économie et écologie ? : le cas des entreprises

Choisir sa banque avec laquelle évoluer est un choix fort qui amène forcément à des conséquences sur l’environnement. Quelle que soit sa taille, il en va de la responsabilité sociétale de l’entreprise. De plus, il existe plusieurs manières de redonner du sens à son argent. Tout d’abord, il est possible de demander à sa banque d’éclaircir certains points à savoir comment utilise-t-elle l’argent confié, de quelle manière compte-t-elle contribuer aux enjeux environnementaux, qu’elle est sa stratégie bas-carbone, etc. Il est également possible de redonner du sens à son épargne en souscrivant un fonds solidaire que ce soit dans le cadre d’un Plan d’Epargne Entreprise (PEE) ou d’un Plan Epargne Retraite Collective (PERCO). En tant qu’entrepreneur, vous pouvez aussi opter, lorsqu’il est pertinent, pour des outils de financement alternatif comme le financement participatif ou crowdfunding. En effet, ce genre de financement ne fait pas appel aux outils et mécanismes que les banques et se base sur la participation financière collective donc beaucoup moins polluante. Enfin, le moyen le plus efficace de donner du sens à votre argent, si vous n’êtes pas satisfait de la politique environnementale et donc sociale qu’emploie votre banque, sera de changer d’établissement en se tournant vers des acteurs financiers plus engagés soucieux du devenir de la planète. 

Sans l’implication totale des puissances économiques comme les banques, rien de déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique ne pourra voir le jour. En décidant des projets de demain, les banques disposent d’un immense pouvoir décisionnel sur la forme que prendra notre avenir. Sa dépendance aux énergies fossiles assombrit pourtant ses choix et ses objectifs de contribution à la neutralité carbone. Les banques auront-elles la capacité et surtout la volonté de subventionner le secteur de la mobilité bas-carbone ? La fin de l’exploitation des énergies fossiles est-elle une illusion ? Les entreprises pourront-elles faire confiance aux banques pour entamer et réussir leur transition vers la neutralité carbone ? Seules les banques elles-mêmes ont les réponses à ces questions, il faut maintenant les inciter à prendre les bonnes décisions en faveur de l’environnement.

Sources

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