Dossier. Les festivals d’été : comment diffuser la culture sans faire exploser la facture environnementale ?
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Dossier. Les festivals d’été : comment diffuser la culture sans faire exploser la facture environnementale ?

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La saison des festivals s’est lancée avec un début d’été caniculaire, signe bien palpable du réchauffement climatique. Partout en France, les festivals rassemblent les foules et diffusent la culture sur les territoires sous toutes ses formes. Problème : la course au gigantisme de certains d’entre eux interroge sur leur impact environnemental. Alors comment conserver l’accès à la culture grâce à la diversité des festivals tout en limitant les dégâts sur le vivant ? Comment concilier l’organisation de festivals populaires avec une exigence environnementale sérieuse ? Pour évoquer ce sujet, nous avons rencontré Benoît Pascal, à la tête du World Festival Ambert et Jérôme Bourdel, directeur commercial de GCK Energy.

Vieilles Charrues, Hellfest, Francofolies, Eurockéennes, Musilac…les gros festivals de l’été sont dans une course au « toujours plus » : toujours plus de têtes d’affiche, toujours plus de festivaliers, toujours plus d’effets spectaculaires… En 1998, les Vieilles Charrues vendaient 100 000 places1, en 2024 la ville de Carhaix a vu débarquer 318 500 festivaliers2 ! Selon l’étude du Shift Project, ces rassemblements qui accueillent en moyenne 280 000 personnes sur quatre jours, émettraient environ 14 000 tonnes équivalent CO2e, soit 50kg de CO2e par festivalier. Alors que faire, on annule tout ? Et si on trouvait plutôt un équilibre acceptable pour que ces festivals restent le vecteur culturel et social qu’ils sont, sans pour autant tomber dans des excès qui pénalisent l’environnement ?


Quels indicateurs pour mesurer l’impact environnemental d’un festival ?

Le bilan carbone est un indicateur de base pour n’importe quel événement, entreprise, etc. En mesurant, on se rend forcément mieux compte de son impact. Néanmoins, se limiter à la mesure de l’empreinte carbone, particulièrement dans le cas de festivals qui deviennent de véritables villages pendant quelques jours, serait une aberration. Un festival, c’est aussi des dépenses en eau, un impact sur la biodiversité ou encore des déchets à gérer.

On s’appuie depuis maintenant 4 ou 5 ans sur une charte de développement durable que nous avons construite en nous inspirant des grandes catégories définies par le ministère de la Transition écologique. Cette charte est structurée autour de plusieurs grands axes : gestion des déchets, transport, restauration, énergie, achats responsables, etc. Pour chacun de ces volets, on s’est fixé des objectifs concrets et on suit une liste d’actions — réalisées ou à mettre en œuvre. C’est à travers ce cadre qu’on évalue et qu’on maîtrise notre impact.
Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert

Les transports : l’impact le plus difficile à maîtriser

Le transport des festivaliers et des artistes est sans conteste le poste qui pèse le plus lourd sur le bilan carbone des festivals, mais c’est aussi celui qui est le plus difficilement maîtrisable pour les organisateurs. Des solutions sont tout de même mises en place pour sensibiliser les festivaliers. Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert, dans cette charmante ville du Puy-de-Dôme au paysage bucolique, doit en plus gérer le manque de transports en commun dans les zones rurales :

On peut bien faire tous les efforts possibles sur place — proposer uniquement de la nourriture végétarienne, bannir le plastique, utiliser des toilettes sèches —, au final, 80 % des émissions sont liées aux déplacements du public. C’est là que le bon sens intervient. Nous, par exemple, on a choisi de limiter la jauge à 10 000 personnes. Ce n’est pas qu’une question d’organisation ou de logistique : c’est aussi un choix environnemental et économique. Préserver le site, éviter sa surexploitation, c’est un investissement sur le long terme. Finalement, organiser un festival à 20 000 ou 30 000 personnes, aujourd’hui, n’a plus de sens pour nous. Non seulement l’impact carbone grimperait en flèche, mais on perdrait aussi ce lien de proximité avec le lieu et avec le public, qui fait toute la valeur de notre événement. Depuis l’année dernière, on a mis en place une navette de 50 places qui fait la liaison entre Clermont-Ferrand et Ambert, ce qui permet d’éviter au moins 25 voitures. Beaucoup de gens viennent aussi à vélo, notamment le public local qui vit à Ambert ou dans les environs. Après, c’est toujours la même histoire : on est en territoire rural, donc très mal desservi en transports. On pousse au covoiturage, mais on n’a pas de train — et le seul bus, c’est nous qui l’avons créé. Un de mes doux rêves, ce serait de rouvrir une ligne de train jusqu’à Ambert pour le festival… mais bon, on n’en est pas encore là.
Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert

Outre les émissions provoquées par la venue des festivaliers, il faut aussi gérer les modes de transport des artistes. Sur les gros festivals avec une programmation internationale, faire venir certains artistes de l’autre bout de la planète entraîne forcément davantage d’émissions. Mais même pour les artistes français, il y a parfois des comportements complexes à gérer. En 2024, le festival marseillais Bon Air a pris une décision forte en déprogrammant le DJ français I Hate Models qui voulait venir en jet privé. Le journal La Provence avait relayé le coup de gueule de Cyril Tomas-Cimmino, cofondateur de Bi:Pole :  “C’est le devoir de la culture d’alerter sur ces sujets. Au Bon Air, les artistes doivent avoir des engagements, les contrats signés des mois avant sont très clairs : aucun transport ne doit être réservé sans l’accord du producteur et de l’organisateur. En l’occurrence, l’avion consomme cinquante fois plus de CO2 que le train.” 3 Benoît Pascal propose globalement une programmation d’artistes français sur la partie scène actuelle, mais il n’oublie pas que l’histoire du World Festival Ambert repose sur les danses du monde :

On a une programmation internationale, avec parfois des groupes de 30 personnes venus des quatre coins du globe. Quand on lit les chartes de développement durable du gouvernement, on y parle de diversité, de mixité, d’ouverture… Cela fait aussi partie de nos valeurs. Moi, j’ai vécu mes premiers voyages grâce au festival, en accueillant des groupes venus du monde entier. On a découvert des coutumes, des manières de vivre qui, forcément, ouvrent l’esprit. C’est pour ça qu’on refuse de tomber dans une forme de démagogie avec une lecture rigide ou trop marketing du développement durable. Parce que pour nous, l’ouverture au monde fait partie de l’ADN du festival. Bien sûr, faire venir un groupe de 30 personnes a un impact. Mais en général, ce sont des tournées longues : ils ne viennent pas pour un week-end, mais pour un ou deux mois. Donc c’est réfléchi, mesuré. Et soyons clairs : on ne va pas s’interdire de faire venir un artiste international. Si demain David Guetta veut jouer en Auvergne, on ne se privera pas de le programmer ni de monter la jauge exceptionnellement. Cela dit, on a parfois reçu des demandes extravagantes — comme exiger quatre voitures pour quatre personnes. Au-delà de l’impact environnemental, ce type de comportement ne correspond pas à nos valeurs. C’est pourquoi on essaie d’être plus vigilants sur ces aspects dans notre programmation.
Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert

Dans cette partie transport, il ne faut pas non plus négliger la logistique en amont et en aval des festivals qui demandent énormément de transports de matériel, le plus souvent en camions.

World Festival d’Ambert 2025. Photo Céline Patissier.

Cette année on a mis en place du co-voiturage de livraison… de semi-remorques ! Avant le groupe électrogène, les lampadaires,… tout le matériel nécessaire arrivait dans plusieurs camions à moitié vides. Avec un transporteur, on a trouvé un moyen de tout regrouper en une seule livraison. Résultat : au lieu de faire venir cinq camions à moitié pleins, on a un gros camion semi-remorque bien chargé qui fait tout d’un coup.
Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert

Énergie : comment les festivals peuvent-ils réduire leur consommation d’électricité ?

Alimenter les scènes, les stands, les lumières et les installations techniques exige des quantités considérables d’électricité. Selon BeeEvent, « un festival de grande envergure peut consommer entre 300 et 500 kWh par jour, soit l’équivalent de plusieurs mois d’électricité pour un foyer moyen ».4 Faute de raccordement au réseau, ou parce que la puissance sera trop limitée, la majorité des événements s’appuie encore sur des groupes électrogènes fonctionnant au diesel, particulièrement polluants : le Hellfest, par exemple, utilise près de 300 000 litres de fioul pour couvrir ses besoins énergétiques à chaque édition5. S’ajoute à cela un recours massif aux installations provisoires, souvent peu optimisées en matière de rendement énergétique. Face à cet impact, certaines initiatives émergent : le festival We Love Green mise sur des solutions alternatives comme les générateurs à hydrogène ou le solaire pour environ 60% de sa consommation énergétique.6

VYV festival. Photo GCK Energy.


Nous avons rencontré Jérôme Bourdel directeur commercial de GCK Energy, qui propose justement une alternative à l’utilisation systématique des groupes électrogènes :

On observe clairement que les organisateurs sont de plus en plus sensibles aux enjeux RSE, mais sur le terrain, les options restent limitées. Soit on a la chance d’avoir un accès au réseau électrique suffisant, soit on doit déployer des groupes électrogènes pour prendre le relais. Chez GCK Energy on propose une solution alternative à ces groupes électrogènes, qu’on appelle des BESS, pour Battery Energy Storage Systems, autrement dit des packs batteries. L’idée, c’est que ces systèmes puissent prendre le relais là où le réseau n’est pas suffisant. En général, les festivals réussissent à se brancher sur le réseau public, mais cette connexion est souvent partielle, pas assez puissante pour alimenter l’ensemble du site. C’est là qu’on intervient : on vient connecter nos batteries directement sur ce réseau, et elles agissent comme des ‘boosters’ d’énergie. Elles stockent une capacité importante — aujourd’hui, on peut monter jusqu’à 500 kWh — et elles délivrent aussi une puissance élevée, avec des pics allant jusqu’à 300 kW. Cela nous permet de couvrir tous les besoins, des scènes aux food trucks, en passant par l’éclairage et les loges techniques, avec une solution propre et silencieuse. Au-delà de nos solutions destinées à alimenter les festivals, on est de plus en plus sollicités pour la recharge de véhicules — qu’il s’agisse de ceux des festivaliers ou de l’organisation. Aujourd’hui, on est capables de coupler nos systèmes de stockage d’énergie avec des bornes de recharge mobiles, que l’on transporte facilement, afin de créer de petites infrastructures de recharge directement sur les sites. Cela permet d’encourager la venue en voiture électrique. C’est une tendance qui se développe de plus en plus, et qui touche aussi à la question du transport dans son ensemble. »
Jérôme Bourdel, directeur commercial de GCK energy

Autre constat fait par le Collectif des festivals : « Les groupes électrogènes sont souvent surdimensionnés : la puissance installée est parfois deux à trois fois supérieure aux besoins réels. »7

On travaille vraiment en fonction des données que nous transmet l’agence ou l’organisateur. On va leur demander quelle puissance est disponible sur le réseau, quels équipements doivent être alimentés, et la consommation estimée. À partir de ces infos, on va dimensionner notre solution de manière précise pour garantir une alimentation continue et suffisante. Il faut que « le réservoir » soit toujours rempli pour pouvoir délivrer la puissance nécessaire quand on en a besoin. Et avec cette logique-là, aujourd’hui, on est capable de remplacer totalement les groupes électrogènes. On assure l’apport en énergie sans interruption, en s’appuyant à la fois sur ce que le réseau peut fournir et sur la puissance de nos batteries. Résultat : c’est fiable, silencieux, et surtout, beaucoup plus propre sur le plan environnemental.
Jérôme Bourdel, directeur commercial de GCK energy

Même si Jérôme Bourdel ne cache pas que la location d’une solution de GCK Energy est un peu plus onéreuse que l’option du groupe électrogène, les résultats en termes de dépenses énergétiques sont bien réels.

« On a récemment déployé un pack batterie 300 kVA / 422 kWh sur un festival, en remplaçant un groupe électrogène de 300 kVA — directement connecté au réseau. Ce dispositif a permis d’alimenter l’intégralité de la scène principale, sans une seule goutte de carburant. Résultat : 106 heures de fonctionnement du groupe évitées, soit environ 2 000 litres de fioul économisés. Et si on fait le calcul, ça représente près de 7 tonnes de CO₂ qui n’ont pas été émises dans l’atmosphère. »
Jérôme Bourdel, directeur commercial de GCK energy

D’autant que les municipalités qui accueillent ce type d’évènement culturel sont le plus souvent favorables à l’utilisation de solutions décarbonées sur leurs territoires, et deviennent plus enclines à financer des alternatives propres de l’aveu de Jérôme Bourdel. C’est parfois la réglementation qui l’impose : pour les Nuées ardentes, un festival qui se déroule au pied du Puy-de-dôme, sur un site classé au patrimoine de l’UNESCO, il est formellement interdit d’utiliser des groupes électrogènes au gasoil.

Les Nuées ardentes dans le Puy-de-Dôme. Photo GCK Energy.

Aujourd’hui, nos packs batteries peuvent être déployés de différentes manières. On peut les connecter à un réseau électrique limité, les hybrider avec un groupe électrogène, ou encore les associer à des solutions de production d’énergie. Par exemple, on sait désormais mettre en place des dispositifs solaires : cela peut être des toitures solaires installées sur des bâtiments modulaires, ou des champs solaires déployables, un peu comme un accordéon, qui permettent de générer une quantité significative d’énergie. Cette énergie est ensuite stockée dans nos batteries pour alimenter les besoins du site. Pour des applications off-grid, totalement déconnectées du réseau, on utilise également des solutions comme des groupes électrogènes à hydrogène. Le principe est le même qu’un groupe électrogène classique, à la différence qu’il fonctionne à l’hydrogène au lieu du gasoil, ce qui permet une production d’énergie entièrement décarbonée. On peut soit utiliser ces groupes à hydrogène seuls — à condition que les besoins en puissance restent modérés, car ils sont encore limités — soit les coupler à nos packs batteries. Dans ce cas, le groupe à hydrogène recharge les batteries, qui assurent ensuite l’alimentation en puissance nécessaire.
Jérôme Bourdel, directeur commercial de GCK energy

La restauration : faut-il absolument que des stands végétariens sur les festivals ? 

Au festival We love green, qui revendique l’écologie comme sa raison d’être, les stands de restauration sont 100 % végétariens avec 70 % de produits locaux. Il est indéniable que le secteur de l’élevage est responsable de 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre dont 9,3 % pour les bovins, d’après les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).8 We love green a fait le choix de bannir la viande pour réduire son empreinte carbone, en proposant des menus sans viande à ses 100000 festivaliers, mais d’autres festivals sont plus nuancés sur le végétalisme, et privilégient la culture gastronomique, des traditions locales qui impliquent la consommation de viande.


Quid des déchets ?

Outre l’empreinte carbone de la partie restauration, il y a aussi la gestion des déchets qui reste une grande problématique écologique sur des événements qui drainent autant de monde d’un coup. Même si les gobelets réutilisables se sont largement démocratisés sur les festivals évitant ainsi l’utilisation massive de verre à usage unique. Il y a aussi tout ce que les festivaliers ne voient pas dans la gestion des repas, et qui produisent de nombreux déchets :

On prépare près de 4 000 repas pour les équipes techniques, les artistes et les bénévoles. Et pour la première fois cette année, on passe à des plateaux 100 % lavables et réutilisables. C’est une vraie avancée, d’autant que, même si c’est censé être une obligation légale, peu de festivals l’appliquent réellement. Pour nous, c’est un gros changement, avec un impact logistique important : une équipe de bénévoles sera mobilisée chaque jour pour laver les plateaux. On a réservé le collège d’Ambert pour gérer le nettoyage, et on a investi dans plus de 1 000 plateaux en inox, fabriqués localement par Stellinox, à Thiers.
Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert

Les festivals qui durent pour la plupart sur plusieurs jours installent aussi un espace camping pour accueillir leurs festivaliers. Et là aussi la gestion des déchets est un véritable défi. Les Vieilles Charrues, par exemple, mettent en place un sacré dispositif pour favoriser le tri sélectif : « Sur tout le site, des espaces de tri sont installés pour collecter carton, bois, verre, bio-déchets, métal, sacs jaunes… Rien n’est laissé au hasard : plus de 800 poubelles, 30 bennes, 60 fûts, 50 supports de tri et 30 conteneurs pour les biodéchets sont répartis sur le camping, les parkings, aux entrées et partout sur le parcours festivalier. », détaille le site web du festival.

La durabilité des infrastructures

La durabilité des infrastructures dans les festivals de musique passe de plus en plus par une logique de réemploi et de limitation des déchets issus du montage et démontage des installations temporaires. Pour lutter contre l’usage unique de structures éphémères — souvent en bois, plastique ou matériaux composites difficiles à recycler — certains festivals font le choix d’investissements pérennes. C’est le cas du Hellfest, à Clisson, qui a amorcé depuis plusieurs années une transformation de ses infrastructures : scènes permanentes, éléments de décor en métal recyclé, structures fixes pour l’accueil du public, ou encore installation de réseaux d’eau et d’électricité durables. Ces aménagements permettent non seulement de réduire considérablement les déchets liés à la construction chaque année, mais aussi de mutualiser les équipements avec d’autres événements locaux. De même, le festival We Love Green, à Paris, s’inscrit dans cette démarche en privilégiant des structures modulaires réutilisables, conçues à partir de matériaux biosourcés ou recyclés. À Ambert, la démarche de durabilité est aussi bien engagée sur le site du festival avec le projet La Prairie :

Il n’y a pas de barrières, le site n’est pas fermé, et tout ce qui a été construit en dur l’a été dans une logique de double, voire triple usage. Par exemple, la régie principale, qui sert pour la grande scène pendant le festival, va être utilisée début août pour les championnats de France de trial, qui ont lieu sur cette même prairie. Pas besoin d’installer une tente ou de louer un bâtiment : tout est déjà là. Les bars sont faits à partir de containers maritimes, réutilisables eux aussi. Et en septembre, un autre événement autour du vélo va pouvoir s’en servir. En fait, cette année, il y a trois événements non liés au festival qui vont se tenir sur le site. On ne leur loue même pas la prairie : on la met à disposition. Ils réutilisent les installations existantes — pas besoin de groupes électrogènes, ils se branchent sur le réseau ; pas besoin de gradins, on a des gradins en béton naturel. C’était l’idée derrière la Prairie : construire pour le festival, oui, mais que ça serve à d’autres, le reste de l’année. On aurait pu faire comme Glastonbury et monter une énorme scène de 300 m² en plein champ, mais ça n’aurait pas eu de vie après. Là, tous les aménagements ont été pensés intelligemment : des chemins perméables qu’on peut utiliser à l’année, un lieu où les gens se baladent, courent… Il y a même un segment Strava ! Ça paraît anecdotique, mais ça montre à quel point les gens se sont approprié le lieu. Et c’est probablement ce dont on est le plus fiers : la Prairie vit à l’année. Elle crée une dynamique, un lien entre les événements, un vrai lieu de vie en pleine nature, qui reste une prairie, entretenue comme telle. D’ici mi-août, tous les week-ends il se passe quelque chose. Et ça, c’est vraiment ce qui rend ce lieu vivant et utile à l’année, au-delà du festival. C’est tout un cercle vertueux qu’on a réussi à mettre en place à Ambert, grâce aussi à un tissu associatif hyper solide.
Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert

La consommation d’eau d’un festival

Parmi les indicateurs écologiques à prendre en compte dans leur grille de lecture, la consommation d’eau est aussi un véritable enjeu pour les festivals. « En plein été, un festival de 38.000 personnes consomme sur son camping sur 3 jours 900 000 litres d’eau (soit environ 24L par personne alors que la moyenne de consommation annuelle d’un Français est de 54L) », explique la fiche pratique de l’association COFEES.7 Le premier poste de consommation d’eau, loin devant, ce sont les toilettes (30 à 40%), puis les douches si le festival propose un camping, la consommation d’eau par les festivaliers et enfin pour les besoins techniques (nettoyage, lavage, etc). Il existe des solutions pour éviter de gaspiller trop d’eau pendant un festival. Et de nombreux festivals sont déjà passés à l’action avec La solution qui réduit considérable leur consommation d’eau : des toilettes sèches. D’après le Collectif des festivals, « pour un évènement accueillant 20 000 personnes, à raison de 6 et 9 litres d’eau économisés à chaque passage aux toilettes (en moyenne 2 passages par personne par jour) cela donne 320 000 litres d’eau économisés par jour, c’est presque l’équivalent d’une piscine de 25 mètres ou de 36 000 packs d’eau ! » Le World festival d’Ambert a mis en place des toilettes sèches dès 2018 et Benoît Pascal assure économiser environ 400 000 litres d’eau chaque année.
Concernant les autres postes de consommation. L’utilisation de fontaines ou bars à eau tout en encourageant les festivaliers à venir avec leur gourde, comme aux Vieilles Charrues ou We Love Green, permet de distribuer gratuitement et sans déchet des milliers de litres d’eau potable, réduisant ainsi la vente de bouteilles en plastique. Enfin, les organisateurs déploient également des réducteurs de débit pour les douches, et utilisent parfois des systèmes de récupération d’eau de pluie pour les usages non alimentaires.
Ces bonnes pratiques, couplées à des équipements économes (évitons les brumisateurs géants par exemple même par forte chaleur !), sont des leviers qui non seulement préservent les ressources, mais aussi sensibilisent le public aux enjeux de l’eau, tout en réduisant les déchets plastiques associés.


L’indicateur souvent négligé : l’impact sur la biodiversité


Le plus souvent, les festivals s’installent dans de jolis coins de nature. Par exemple, le Festival de Poupet en Vendée a fait une grande partie de sa réputation sur son cadre bucolique : un théâtre naturel entouré de verdure de la Vallée de Poupet. Mais quel est l’impact d’un festival sur la biodiversité qui l’entoure ? Chaque année, le festival We love green prend ses quartiers dans le bois de Vincennes et s’attire régulièrement les foudres des militants écologistes d’associations de protection des animaux, comme la LPO ou encore le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) : « Pour les oiseaux, début juin, c’est la période de nidification et d’apprentissage des nouveau-nés. Or, lorsqu’il y a du bruit et de la lumière, les parents s’enfuient et les petits se retrouvent seuls, mourant de faim et de soif », alertait Marie-Noëlle Bernard, référente de l’association GNSA.9
Par ailleurs, l’activité humaine pendant ces événements — piétinements, trafic et infrastructures — dégrade la végétation et réduit la diversité des plantes, même si certains sites peuvent se régénérer rapidement par la suite. Bien que rarement pris en compte dans les bilans carbone, ces effets — pollution sonore, fragmentation d’habitat, érosion et stress animal — représentent un enjeu crucial pour la conservation de la biodiversité. Une meilleure évaluation environnementale et l’application de mesures comme le choix d’espaces moins sensibles, la limitation du volume sonore, et la gestion raisonnée des flux et installations aideraient à minimiser ces impacts.

La prairie autour du World Festival Ambert. Photo Céline Patissier.

Greenwashing : quand certains festivals communiquent un peu trop sur leur écoresponsabilité

Malgré des impacts néfastes indéniables, de plus en plus de festivals prennent le sujet du développement durable au sérieux et tentent de mettre des solutions en place. Néanmoins, le risque de greenwashing est toujours en embuscade. Certains évènements se revendiquent “éco-responsables” haut et fort, communiquent beaucoup sur ce sujet mais les actions concrètes ne suivent pas toujours, ou certains choix semblent en contradiction avec cet engagement. Distribution d’Ecocup, de t-shirts recyclés ou une scénographie en palettes ne suffisent pas à compenser un manque d’efforts réels sur les postes les plus émetteurs. Comment distinguer les engagements sincères des effets d’annonce qui frôlent le greenwashing de la part de certains festivals ? Et vice-versa, quand un festival s’engage sincèrement, il est aussi parfois difficile pour lui d’échapper aux critiques s’il ne communique pas un minimum sur ses actions.

On essaie surtout d’éviter de tomber dans le greenwashing. Jusqu’ici, on ne communiquait pas trop sur nos actions, parce qu’on estimait que ce n’était pas nécessaire de s’en vanter. Mais finalement, on a commencé à le faire, un peu par obligation : on se faisait critiquer à tort pour notre soi-disant inaction, alors qu’on met en place plein de choses depuis des années. C’est un peu absurde, mais c’est la réalité : si tu ne communiques pas, on suppose que tu ne fais rien. Certains festivals communiquent beaucoup parce qu’ils ont mis en place des écocups. Nous, ça fait 15 ans qu’on en utilise. Et franchement, l’écocup aujourd’hui… désolé, mais il n’y a plus grand-chose d’écologique là-dedans. C’est devenu une source de revenus pour les festivals, pas une solution environnementale, puisqu’en réalité les gens les gardent en souvenir, et chaque année on est obligé d’en racheter.
Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert

Diffuser la culture sans nuire à l’environnement : un équilibre à trouver

La culture et l’écologie ne doivent pas être opposées, bien au contraire. L’écologie passe aussi par la culture et notamment via des festivals qui peuvent devenir vecteurs de sensibilisation d’une large population. Les festivals ont l’opportunité de proposer d’autres imaginaires, un récit « cool» sur l’écologie et pourquoi pas faire de la protection de l’environnement un axe de création et d’innovation.

L’accès à la culture en milieu rural est un vrai défi. Et c’est pour ça qu’on reste très vigilants sur toutes les questions liées à l’écologie et au développement durable. Parce que si on voulait vraiment être “plus propres que propres”, alors il n’y aurait plus de culture du tout dans nos territoires. Forcément, il est plus simple d’organiser un concert à Paris, avec toutes les infrastructures déjà en place. Chez nous, c’est une autre histoire. C’est là qu’on touche à un enjeu plus large, un enjeu profondément politique : si on veut réellement concilier diffusion culturelle dans les territoires et exigence écologique, alors il faut penser tout ça ensemble. Les deux sont liés. Ces derniers temps, on a vu passer quelques critiques sur le festival. Ce qu’on répète — et qu’on assume totalement — c’est qu’on est un festival rural, indépendant, et qu’on veut le rester. On est prêts à se battre pour ça. Parce que si on suit certaines logiques jusqu’au bout : Ambert est dans une zone rurale, il ne faut pas toucher à la prairie, donc on ne fait rien. Mais, ce n’est pas notre vision du développement durable. Le développement durable, ce n’est pas juste une question d’empreinte carbone. C’est aussi la parité, la diversité, l’inclusion, l’accès à la culture pour tous.
Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert

Toutefois, organiser des festivals démesurés avec des jauges à plus de 30 000 personnes par jour est-il le dans le sens de l’Histoire ? Revenir à des dimensions plus humaines ne serait-il pas le bon moyen de réduire drastiquement l’empreinte carbone de ces festivals d’été et de retrouver par la même occasion une certaine authenticité ? La question est posée.

Sources :

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Spécialiste reconnue des questions de mix énergétique, d’efficacité énergétique et de transition zéro carbone, Myriam Maestroni a occupé des fonctions de direction au sein de grandes entreprises du secteur de l’énergie, notamment chez Primagaz entre 2003 et 2011. Engagée de longue date sur les enjeux climatiques, sociétaux et économiques, elle fonde et dirige la société [...]