COP28 : Toujours pas de réglementations pour les crédits carbone
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COP28 : Toujours pas de réglementations pour les crédits carbone

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Une semaine après la fin de la 28ème Conférence des Parties sur le climat à Dubaï aux Emirats-Arabe-Unis, Capitaine Carbone revient sur l’un des plus gros échec de cette COP pourtant passé inaperçu : la régulation des crédits carbone. Censé être une pièce maîtresse des efforts mondiaux dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’article 6 de l’accord de Paris a été (une nouvelle fois) le théâtre d'un échec retentissant. De quoi s’agit-il concrètement ? Quels enjeux autour de cet article 6 se jouent au sein des COP ? Pourquoi est-il si difficile de parvenir à un consensus ? Le Capitaine vous explique tout dans ce nouvel article décryptage.

Article de 6 de l’accord de Paris : de quoi s’agit-il ? 

Plusieurs fois mentionné dans nos contenus (notamment lors du bilan des précédentes Conférences des Parties) l’article 6 de l’accord de Paris sur le climat fait référence à la mise en œuvre et à l’encadrement des « mécanismes de coopérations » entre les différentes Parties. Concrètement, il s‘agit de deux nouveaux marchés carbone (différents de ceux qui ont découlé du protocole de Kyoto en 1997) imaginés par les Parties, pour les aider à atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES). 

L’article 6.2 de l’accord de Paris, prévoit la création d’un marché interétatique basé sur un système d’échange de quotas d’émissions carbone similaire à celui existant déjà à l’échelle des entreprises (Emission Trading System). En suivant ce modèle, ce nouveau marché devrait donc permettre aux États les plus polluants d’acheter des droits d’émissions aux États les moins polluants. Ce procédé appartient à un ensemble de stratégies qu’une nation ou une entreprise peut mettre en place pour contribuer à la neutralité carbone. Fondé sur une approche coopérative, ce marché n’est pas régulé par une entité supérieure.

Contrairement à l’article 6.2, l’article 6.4 lui ambitionne de créer un marché mondial du carbone supervisé par une entité supérieure la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques). Dans ce marché, les pays, les entreprises et même les particuliers, seront en mesure d’acheter des crédits carbone générés par le financement de projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de séquestration carbone. Avant d’émettre des crédits reconnus par les Nations unies, chaque projet doit obtenir l’approbation tant du pays d’implémentation que de l’organe de surveillance. Et c’est justement ce second marché qui pose problème aux négociateurs puisque ses règles d’établissement sont encore en cours de discussion.

Pourquoi la COP28 a échoué à s’accorder sur les marchés carbone ?

Avant de comprendre pourquoi les négociations n’ont pas abouti lors de la COP28, voici un petit historique de ce qui s’est passé depuis que l’article 6 de l’accord de Paris a été signé en 2015 : 

  • Trois ans plus tard, un « Rulebook » sur la mise en œuvre de l’accord de Paris avait émergé lors de la COP24 à Katowice en Pologne sans pour autant donné de cadre réglementaire précis aux différents mécanismes financiers qu’instaurait l’article 6 ;
  • Une année plus tard, à Madrid, la COP25 n’a pas connu de meilleure destinée. Avec deux jours de négociations supplémentaires, la « COP technique » n’a pas trouvé de consensus sur le cadre à imposer pour ce nouvel instrument carbone ;
  • En 2021, lors de la COP26 (post COVID) en Écosse, des discussions fortes entourant le cadre réglementaire de ce marché interétatique ont été engagées et c’est notamment lors de cette COP que la fin du double comptage des crédits carbone a été « résolu » en tout cas pour ce marché précisément :
  • Lors de la COP27 et COP28 les textes d’encadrement proposés sur les marchés carbone (Article 6 de l’accord de Paris) ont tous été rejetés après de longues discussions.

Au-delà de la problématique de double-comptage, c’est le manque d’efficacité de ces projets qui est pointé du doigt. En effet, depuis quelques années, le marché de la compensation carbone volontaire donne lieu à des dérives importantes, notamment dans les projets de reforestation dont le bénéfice sur le climat s’est révélé nul, voire contreproductif. De plus, ce mécanisme entrerait en contradiction avec le principe de justice climatique, préconisant que les pays historiquement responsables du changement climatique devraient réduire leurs émissions à la source plutôt que de chercher à les compenser dans les pays du sud. Ces désaccords profonds sur la manière de structurer un système efficace et équitable pour les crédits carbone, reflètent les tensions géopolitiques, les disparités économiques et les inquiétudes environnementales des différentes Parties.

Quels enjeux pour quelles Parties ? 

Pour les pays développés, ces crédits – conçus pour encourager les réductions d’émissions en permettant le commerce de droits d’émissions excédentaires – sont devenus un moyen d’éviter la grande question de la réduction en rachetant les émissions de GES aux pays les moins émetteurs. Même si cette vision peut s’apparenter à de la caricature, dans les faits malheureusement peu de pays développés se donnent les moyens nécessaires de réduire leurs émissions pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. 

De leur côté, les pays durement impactés par le réchauffement climatique négocient pour qu’une partie des transactions relatives à ces marchés soient attribuées au fonds d’adaptation et ce conformément aux injonctions de la CCNUCC.

Enfin, les ONG militent auprès des États et institutions Étatiques afin que ces derniers votent contre l’adoption de ces textes dépourvus de règles solides qui compromettent l’intégrité de l’accord de Paris. C’est en tout cas ce qu’affirme le Réseaux action climat France qui fédère plus de 27 associations nationales et 10 associations locales, autour de la lutte contre le changement climatique. 

La faiblesse des cadres normatifs et l’absence de mentions de protection pour les droits humains ont fini par convaincre le Mexique, l’Union européenne ainsi que les groupes d’Etats AILAC (Alliance Indépendante d’Amérique Latine et des Caraïbes) et CfRN (Coalition pour les nations des forêts tropicales) de rejeter ce texte dangereux.
Photo des témoignages Réseaux action climat France

Autoproclaméee « historique » par son président, Sultan Ahmed Al-Jaber, la COP28 s’inscrit malheureusement comme un nouveau chapitre de stagnation dans la quête de réglementations essentielles concernant les crédits carbone. Malgré les espoirs et les attentes placés dans cette conférence, les divergences persistantes ont maintenu l’impasse, laissant en suspens un élément clé de l’arsenal mondial contre le changement climatique. Ces multiples refus n’enterrent cependant pas les négociations autour de ce très controversé article 6 alors que la communauté internationale se prépare à se réunir dans la ville de Bakou en Azerbaïdjan pour la COP29 en novembre prochain. 

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