La saison des festivals s’est lancée avec un début d’été caniculaire, signe bien palpable du réchauffement climatique. Partout en France, les festivals rassemblent les foules et diffusent la culture sur les territoires sous toutes ses formes. Problème : la course au gigantisme de certains d’entre eux interroge sur leur impact environnemental. Alors comment conserver l’accès à la culture grâce à la diversité des festivals tout en limitant les dégâts sur le vivant ? Comment concilier l’organisation de festivals populaires avec une exigence environnementale sérieuse ? Pour évoquer ce sujet, nous avons rencontré Benoît Pascal, à la tête du World Festival Ambert et Jérôme Bourdel, directeur commercial de GCK Energy.
Vieilles Charrues, Hellfest, Francofolies, Eurockéennes, Musilac…les gros festivals de l’été sont dans une course au « toujours plus » : toujours plus de têtes d’affiche, toujours plus de festivaliers, toujours plus d’effets spectaculaires… En 1998, les Vieilles Charrues vendaient 100 000 places1, en 2024 la ville de Carhaix a vu débarquer 318 500 festivaliers2 ! Selon l’étude du Shift Project, ces rassemblements qui accueillent en moyenne 280 000 personnes sur quatre jours, émettraient environ 14 000 tonnes équivalent CO2e, soit 50kg de CO2e par festivalier. Alors que faire, on annule tout ? Et si on trouvait plutôt un équilibre acceptable pour que ces festivals restent le vecteur culturel et social qu’ils sont, sans pour autant tomber dans des excès qui pénalisent l’environnement ?
Quels indicateurs pour mesurer l’impact environnemental d’un festival ?
Le bilan carbone est un indicateur de base pour n’importe quel événement, entreprise, etc. En mesurant, on se rend forcément mieux compte de son impact. Néanmoins, se limiter à la mesure de l’empreinte carbone, particulièrement dans le cas de festivals qui deviennent de véritables villages pendant quelques jours, serait une aberration. Un festival, c’est aussi des dépenses en eau, un impact sur la biodiversité ou encore des déchets à gérer.
Les transports : l’impact le plus difficile à maîtriser
Le transport des festivaliers et des artistes est sans conteste le poste qui pèse le plus lourd sur le bilan carbone des festivals, mais c’est aussi celui qui est le plus difficilement maîtrisable pour les organisateurs. Des solutions sont tout de même mises en place pour sensibiliser les festivaliers. Benoît Pascal, directeur du World Festival Ambert, dans cette charmante ville du Puy-de-Dôme au paysage bucolique, doit en plus gérer le manque de transports en commun dans les zones rurales :
Outre les émissions provoquées par la venue des festivaliers, il faut aussi gérer les modes de transport des artistes. Sur les gros festivals avec une programmation internationale, faire venir certains artistes de l’autre bout de la planète entraîne forcément davantage d’émissions. Mais même pour les artistes français, il y a parfois des comportements complexes à gérer. En 2024, le festival marseillais Bon Air a pris une décision forte en déprogrammant le DJ français I Hate Models qui voulait venir en jet privé. Le journal La Provence avait relayé le coup de gueule de Cyril Tomas-Cimmino, cofondateur de Bi:Pole : “C’est le devoir de la culture d’alerter sur ces sujets. Au Bon Air, les artistes doivent avoir des engagements, les contrats signés des mois avant sont très clairs : aucun transport ne doit être réservé sans l’accord du producteur et de l’organisateur. En l’occurrence, l’avion consomme cinquante fois plus de CO2 que le train.” 3 Benoît Pascal propose globalement une programmation d’artistes français sur la partie scène actuelle, mais il n’oublie pas que l’histoire du World Festival Ambert repose sur les danses du monde :
Dans cette partie transport, il ne faut pas non plus négliger la logistique en amont et en aval des festivals qui demandent énormément de transports de matériel, le plus souvent en camions.

World Festival d’Ambert 2025. Photo Céline Patissier.
Énergie : comment les festivals peuvent-ils réduire leur consommation d’électricité ?
Alimenter les scènes, les stands, les lumières et les installations techniques exige des quantités considérables d’électricité. Selon BeeEvent, « un festival de grande envergure peut consommer entre 300 et 500 kWh par jour, soit l’équivalent de plusieurs mois d’électricité pour un foyer moyen ».4 Faute de raccordement au réseau, ou parce que la puissance sera trop limitée, la majorité des événements s’appuie encore sur des groupes électrogènes fonctionnant au diesel, particulièrement polluants : le Hellfest, par exemple, utilise près de 300 000 litres de fioul pour couvrir ses besoins énergétiques à chaque édition5. S’ajoute à cela un recours massif aux installations provisoires, souvent peu optimisées en matière de rendement énergétique. Face à cet impact, certaines initiatives émergent : le festival We Love Green mise sur des solutions alternatives comme les générateurs à hydrogène ou le solaire pour environ 60% de sa consommation énergétique.6

VYV festival. Photo GCK Energy.
Nous avons rencontré Jérôme Bourdel directeur commercial de GCK Energy, qui propose justement une alternative à l’utilisation systématique des groupes électrogènes :
Autre constat fait par le Collectif des festivals : « Les groupes électrogènes sont souvent surdimensionnés : la puissance installée est parfois deux à trois fois supérieure aux besoins réels. »7
Même si Jérôme Bourdel ne cache pas que la location d’une solution de GCK Energy est un peu plus onéreuse que l’option du groupe électrogène, les résultats en termes de dépenses énergétiques sont bien réels.
D’autant que les municipalités qui accueillent ce type d’évènement culturel sont le plus souvent favorables à l’utilisation de solutions décarbonées sur leurs territoires, et deviennent plus enclines à financer des alternatives propres de l’aveu de Jérôme Bourdel. C’est parfois la réglementation qui l’impose : pour les Nuées ardentes, un festival qui se déroule au pied du Puy-de-dôme, sur un site classé au patrimoine de l’UNESCO, il est formellement interdit d’utiliser des groupes électrogènes au gasoil.

Les Nuées ardentes dans le Puy-de-Dôme. Photo GCK Energy.
La restauration : faut-il absolument que des stands végétariens sur les festivals ?
Au festival We love green, qui revendique l’écologie comme sa raison d’être, les stands de restauration sont 100 % végétariens avec 70 % de produits locaux. Il est indéniable que le secteur de l’élevage est responsable de 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre dont 9,3 % pour les bovins, d’après les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).8 We love green a fait le choix de bannir la viande pour réduire son empreinte carbone, en proposant des menus sans viande à ses 100000 festivaliers, mais d’autres festivals sont plus nuancés sur le végétalisme, et privilégient la culture gastronomique, des traditions locales qui impliquent la consommation de viande.
Quid des déchets ?
Outre l’empreinte carbone de la partie restauration, il y a aussi la gestion des déchets qui reste une grande problématique écologique sur des événements qui drainent autant de monde d’un coup. Même si les gobelets réutilisables se sont largement démocratisés sur les festivals évitant ainsi l’utilisation massive de verre à usage unique. Il y a aussi tout ce que les festivaliers ne voient pas dans la gestion des repas, et qui produisent de nombreux déchets :
Les festivals qui durent pour la plupart sur plusieurs jours installent aussi un espace camping pour accueillir leurs festivaliers. Et là aussi la gestion des déchets est un véritable défi. Les Vieilles Charrues, par exemple, mettent en place un sacré dispositif pour favoriser le tri sélectif : « Sur tout le site, des espaces de tri sont installés pour collecter carton, bois, verre, bio-déchets, métal, sacs jaunes… Rien n’est laissé au hasard : plus de 800 poubelles, 30 bennes, 60 fûts, 50 supports de tri et 30 conteneurs pour les biodéchets sont répartis sur le camping, les parkings, aux entrées et partout sur le parcours festivalier. », détaille le site web du festival.
La durabilité des infrastructures
La durabilité des infrastructures dans les festivals de musique passe de plus en plus par une logique de réemploi et de limitation des déchets issus du montage et démontage des installations temporaires. Pour lutter contre l’usage unique de structures éphémères — souvent en bois, plastique ou matériaux composites difficiles à recycler — certains festivals font le choix d’investissements pérennes. C’est le cas du Hellfest, à Clisson, qui a amorcé depuis plusieurs années une transformation de ses infrastructures : scènes permanentes, éléments de décor en métal recyclé, structures fixes pour l’accueil du public, ou encore installation de réseaux d’eau et d’électricité durables. Ces aménagements permettent non seulement de réduire considérablement les déchets liés à la construction chaque année, mais aussi de mutualiser les équipements avec d’autres événements locaux. De même, le festival We Love Green, à Paris, s’inscrit dans cette démarche en privilégiant des structures modulaires réutilisables, conçues à partir de matériaux biosourcés ou recyclés. À Ambert, la démarche de durabilité est aussi bien engagée sur le site du festival avec le projet La Prairie :
La consommation d’eau d’un festival
Parmi les indicateurs écologiques à prendre en compte dans leur grille de lecture, la consommation d’eau est aussi un véritable enjeu pour les festivals. « En plein été, un festival de 38.000 personnes consomme sur son camping sur 3 jours 900 000 litres d’eau (soit environ 24L par personne alors que la moyenne de consommation annuelle d’un Français est de 54L) », explique la fiche pratique de l’association COFEES.7 Le premier poste de consommation d’eau, loin devant, ce sont les toilettes (30 à 40%), puis les douches si le festival propose un camping, la consommation d’eau par les festivaliers et enfin pour les besoins techniques (nettoyage, lavage, etc). Il existe des solutions pour éviter de gaspiller trop d’eau pendant un festival. Et de nombreux festivals sont déjà passés à l’action avec La solution qui réduit considérable leur consommation d’eau : des toilettes sèches. D’après le Collectif des festivals, « pour un évènement accueillant 20 000 personnes, à raison de 6 et 9 litres d’eau économisés à chaque passage aux toilettes (en moyenne 2 passages par personne par jour) cela donne 320 000 litres d’eau économisés par jour, c’est presque l’équivalent d’une piscine de 25 mètres ou de 36 000 packs d’eau ! » Le World festival d’Ambert a mis en place des toilettes sèches dès 2018 et Benoît Pascal assure économiser environ 400 000 litres d’eau chaque année.
Concernant les autres postes de consommation. L’utilisation de fontaines ou bars à eau tout en encourageant les festivaliers à venir avec leur gourde, comme aux Vieilles Charrues ou We Love Green, permet de distribuer gratuitement et sans déchet des milliers de litres d’eau potable, réduisant ainsi la vente de bouteilles en plastique. Enfin, les organisateurs déploient également des réducteurs de débit pour les douches, et utilisent parfois des systèmes de récupération d’eau de pluie pour les usages non alimentaires.
Ces bonnes pratiques, couplées à des équipements économes (évitons les brumisateurs géants par exemple même par forte chaleur !), sont des leviers qui non seulement préservent les ressources, mais aussi sensibilisent le public aux enjeux de l’eau, tout en réduisant les déchets plastiques associés.
L’indicateur souvent négligé : l’impact sur la biodiversité
Le plus souvent, les festivals s’installent dans de jolis coins de nature. Par exemple, le Festival de Poupet en Vendée a fait une grande partie de sa réputation sur son cadre bucolique : un théâtre naturel entouré de verdure de la Vallée de Poupet. Mais quel est l’impact d’un festival sur la biodiversité qui l’entoure ? Chaque année, le festival We love green prend ses quartiers dans le bois de Vincennes et s’attire régulièrement les foudres des militants écologistes d’associations de protection des animaux, comme la LPO ou encore le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) : « Pour les oiseaux, début juin, c’est la période de nidification et d’apprentissage des nouveau-nés. Or, lorsqu’il y a du bruit et de la lumière, les parents s’enfuient et les petits se retrouvent seuls, mourant de faim et de soif », alertait Marie-Noëlle Bernard, référente de l’association GNSA.9
Par ailleurs, l’activité humaine pendant ces événements — piétinements, trafic et infrastructures — dégrade la végétation et réduit la diversité des plantes, même si certains sites peuvent se régénérer rapidement par la suite. Bien que rarement pris en compte dans les bilans carbone, ces effets — pollution sonore, fragmentation d’habitat, érosion et stress animal — représentent un enjeu crucial pour la conservation de la biodiversité. Une meilleure évaluation environnementale et l’application de mesures comme le choix d’espaces moins sensibles, la limitation du volume sonore, et la gestion raisonnée des flux et installations aideraient à minimiser ces impacts.

La prairie autour du World Festival Ambert. Photo Céline Patissier.
Greenwashing : quand certains festivals communiquent un peu trop sur leur écoresponsabilité
Malgré des impacts néfastes indéniables, de plus en plus de festivals prennent le sujet du développement durable au sérieux et tentent de mettre des solutions en place. Néanmoins, le risque de greenwashing est toujours en embuscade. Certains évènements se revendiquent “éco-responsables” haut et fort, communiquent beaucoup sur ce sujet mais les actions concrètes ne suivent pas toujours, ou certains choix semblent en contradiction avec cet engagement. Distribution d’Ecocup, de t-shirts recyclés ou une scénographie en palettes ne suffisent pas à compenser un manque d’efforts réels sur les postes les plus émetteurs. Comment distinguer les engagements sincères des effets d’annonce qui frôlent le greenwashing de la part de certains festivals ? Et vice-versa, quand un festival s’engage sincèrement, il est aussi parfois difficile pour lui d’échapper aux critiques s’il ne communique pas un minimum sur ses actions.
Diffuser la culture sans nuire à l’environnement : un équilibre à trouver
La culture et l’écologie ne doivent pas être opposées, bien au contraire. L’écologie passe aussi par la culture et notamment via des festivals qui peuvent devenir vecteurs de sensibilisation d’une large population. Les festivals ont l’opportunité de proposer d’autres imaginaires, un récit « cool» sur l’écologie et pourquoi pas faire de la protection de l’environnement un axe de création et d’innovation.
Toutefois, organiser des festivals démesurés avec des jauges à plus de 30 000 personnes par jour est-il le dans le sens de l’Histoire ? Revenir à des dimensions plus humaines ne serait-il pas le bon moyen de réduire drastiquement l’empreinte carbone de ces festivals d’été et de retrouver par la même occasion une certaine authenticité ? La question est posée.
Sources :
