Vectura System – Entretien avec une startup engagée
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Vectura System – Entretien avec une startup engagée

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Chaque jour, des entreprises françaises s'impliquent activement dans la transition écologique. Des entrepreneurs engagés et engageants mènent diverses actions en faveur de la protection de la biodiversité, de la réduction de nos émissions de GES tout en promouvant un mode de vie plus durable. En tant que média d'information, notre mission est aussi de vous partager ces initiatives vertueuses. C'est dans ce contexte que Capitaine Carbone mène une série d’entretiens avec des entrepreneurs engagés et inspirants, comme Sébastien Berthebaud, fondateur de Vectura System, basé à Nantes et à Hambourg. Ses objectifs : optimiser les flottes logistiques sur terre et les bateaux de travail en mer pour les aider à décarboner leurs trajets.

 

Bonjour Sébastien, peux-tu nous expliquer comment a évolué Vectura System depuis son lancement il y a 4 ans ?

Après un double diplôme franco-allemand, l’un en micro-mécanique et l’autre en école de technologie du transport, suivi d’une spécialisation Motoriste-Transmission, j’ai travaillé dans différents pays, et je suis revenu en France en 2018. J’ai repris une première entreprise (que j’ai toujours) de formation à la mécanique des véhicules anciens. Dans ce cadre, je suis devenu administrateur à la fédération française et actif à la fédération internationale en charge de l’environnement. J’ai essayé de mettre des choses en place pour réduire l’impact des véhicules anciens, mais en restant dans le monde des véhicules anciens, mon impact était très faible puisque finalement les passionnés roulent assez peu. Cela dit en allant dans les ministères au niveau de la France et de l’Europe, je me suis rendu compte que la transition énergétique était extrêmement politisée, et qu’il y avait des effets de “mode”. Un coup l’hydrogène, un autre coup le 100% électrique, bref, impossible d’avoir une vraie transition sans faire des choix durables. J’ai donc lancé ma start-up avec l’idée de proposer des solutions d’hybridation pour les véhicules de logistique. Mais je me suis heurté à une réglementation qui m’interdisait de le faire en France. Et puis lors d’une intervention devant un groupe de travail du Parlement allemand à Berlin, j’ai découvert qu’en Allemagne je pouvais homologuer et vendre les véhicules hybridés, d’où la création d’une double structure Nantes-Hambourg. Nouvel obstacle, en Allemagne les logisticiens n’ont pas encore de réelles incitations à décarboner, notamment sur les longs trajets avec des camions poids lourds qui sont tous en diesel. Donc on a mis le projet de kit d’hybridation en pause, parce que pour le moment les logisticiens ne savent pas vraiment vers quoi se tourner et n’achètent pas beaucoup de véhicules à énergies alternatives. C’est comme ça qu’on a commencé à développer un outil d’aide à la décision, qui s’appelle eco4impact (www.eco4impact.com), pour que les logisticiens fassent justement les bons choix de technologies alternatives pour décarboner leur trajet en fonction de leurs usages.
Photo des témoignages Sébastien Berthebaud, fondateur de Vectura System
Impression écran de l'outils d'aide à la décision eco4impact

Concrètement, Vectura System propose un logiciel pour aider les logisticiens à optimiser leur flotte de véhicules afin de baisser leur consommation en carburant sans pour autant perdre en efficacité ?

Tout à fait, il y a énormément de paramètres à prendre en compte pour adapter une flotte. Quel type de livraison ? Quel type de camion ? Est-ce qu’il transporte de la nourriture congelée ? Des pièces industrielles ? Etc. Les consommations énergétiques sont différentes, en fonction du type de véhicule, du poids transporté, de la longueur du trajet … Le but est de donner des indicateurs à un logisticien en lui proposant un scénario, par exemple : “dans votre cas, vous avez intérêt à avoir 10% de votre flotte en hybride, 50 % en électrique, garder encore 5 ans le diesel pour le reste de la flotte en attendant d’avoir une infrastructure de recharge plus conséquente”. Les logisticiens ne sont pas encore prêts à acheter en masse des véhicules alternatifs, ils ont besoin d’avoir une vraie analyse pour mettre en place une stratégie de décarbonation. En Allemagne, je suis basé à l’incubateur logistique d’Hambourg, et j’ai déjà beaucoup de logisticiens allemands qui ont montré un fort intérêt pour notre projet. J’ai donc monté un consortium avec les logisticiens et les universitaires pour travailler sur le sujet. On a un produit qui existe, et maintenant on cherche les premiers clients pour des projets-pilote et planifier la transition des flottes.
Photo des témoignages Sébastien Berthebaud, fondateur de Vectura System,

L’objectif premier est la décarbonation, mais il y a un intérêt économique pour ces logisticiens à optimiser leur consommation de carburant ?

Il n’y aura pas de décarbonation s’il n’y a pas de retour sur investissement. Aucun changement profond ne se fera, si la nouvelle solution est plus chère. C’est compliqué de changer, donc il faut qu’il y ait aussi un équilibre financier, une incitation économique à trouver des solutions alternatives. Avec notre logiciel on peut jouer sur ces deux tableaux, pour que les logisticiens aient la capacité de calculer leur ROI financier tout en respectant leurs engagements RSE, notamment en réduisant le CO2. Notre logiciel est aussi une aide au quotidien pour gérer une flotte diversifiée (électrique, hybride, diesel, etc). Si les logisticiens veulent que leur stratégie décidée il y a 2 ans donne le résultat escompté, il va falloir qu’ils ajustent quasiment au quotidien la gestion des véhicules. D’autant plus si une partie de la flotte est externalisée, et qu’il faut faire les bons choix pour contractualiser avec les bons prestataires et rester dans les clous au niveau des coûts et du CO2. On peut connecter notre cœur de calcul en API avec tous les logiciels de logistique, pour qu’ils planifient leur tournée du lendemain sur 1000 véhicules, et optimiser encore chaque jour en fonction des résultats effectifs.
Photo des témoignages Sébastien Berthebaud, fondateur de Vectura System,

Vectura System ne travaille pas que pour la logistique, il y a aussi la décarbonation des bateaux de travail, notamment les bateaux de pêche. Comment s’est développé ce projet parallèle ?

La partie maritime a commencé avec le Pôle Mer Bretagne Atlantique qui m’a sollicité en me proposant de faire ce que je faisais pour les camions, mais pour les bateaux cette fois. Au départ, c’était “bateaux” au sens large, donc déjà il fallait savoir sur quel type de bateau il était le plus judicieux d’intervenir. Bateau de plaisance, super cargo,…? Ce n’est pas le même travail du tout ! Par exemple pour les bateaux de plaisance, l’impact est moins fort vu qu’ils ne sortent pas beaucoup en mer (environ 5 jours par an en moyenne), et ce sont des particuliers, et moi je travaille plutôt en BtoB. Pour les super cargos, il y a déjà de gros acteurs qui se penchent sur leur décarbonation, donc ce n’était pas pertinent d’aller les concurrencer. On s’est donc plutôt penché sur les bateaux de travail, et en Bretagne les plus fréquents ce sont les bateaux de pêche. J’ai donc commencé à rencontrer des marins pêcheurs au port de Lorient et à comprendre comment ils travaillent. Le courant est très bien passé avec Éric Guygniec de L’APAK : c’est l’un des plus gros armateurs de Lorient qui adressent plutôt des bateaux de pêche à un niveau artisanal, on reste sur des bateaux de moins de 25 mètres. Mais ces petits chalutiers consomment énormément de carburant (entre 1000 et 2000 litres de carburant par jour).
Bateau de pêche à Lorient
Il faut également savoir que le système de rémunération des marins pêcheurs est particulier : ils sont rémunérés en fonction de ce qu’ils ont pêché : moins les coûts de structure, moins les coûts de carburant. Ce qui reste est réparti entre les membres de l’équipage. Ce qui fait que même les salariés ont un intérêt à réduire leur consommation de carburant, cela impacte directement leur salaire, contrairement aux chauffeurs de camions qui auront toujours le même salaire, quelle que soit leur consommation. Ensuite j’ai embarqué pendant 15 jours sur un bateau de pêche aux thons, en Atlantique Nord, pour comprendre comment ils travaillent, comment le bateau fonctionne et aussi gagner leur confiance. J’ai découvert que les usages étaient très diversifiés et que c’était très compliqué de dimensionner l’hybridation de ces bateaux. J’ai donc créé un consortium avec tous les spécialistes de la pêche en Bretagne : le Pôle Mer Bretagne Atlantique, les Marins Pêcheurs, mais aussi ceux qui fabriquent les filets, l’architecte naval, le chantier naval, l’IMT Atlantique pour la partie simulation.
Sébastien Berthebaud à bord d'un bateau de pêche en train de prendre des notes.
Il y a toutes les compétences autour de la table à chaque fois qu’on travaille sur le sujet de l’hybridation, et on est en train de finaliser ce projet. On va pouvoir dimensionner un type d’hybridation qui n’existe pas dans le maritime, dans les bateaux de travail pour leur permettre de réduire les consommations de carburant avec le moins de batteries embarquées possible. Le 100% électrique pour ces bateaux n’est pas possible étant donné qu’ils partent 15 jours en mer. En revanche on peut mettre une batterie (la plus petite possible) pour optimiser les points de fonctionnement du moteur thermique et la consommation énergétique.
Photo des témoignages Sébastien Berthebaud, fondateur de Vectura System,
Un bateau de peche à quai sous un ciel gris

Tu développes ce premier projet en Bretagne, est-ce que tu as eu d’autres demandes dans le secteur maritime ?

Oui, la région Occitanie a entendu parler de ce qu’on faisait à Lorient, et elle m’a demandé de monter le même projet pour la Méditerranée. Je précise que cela ne sera pas exactement la même chose, une copie un pour un n’aurait pas de sens, les usages n’étant pas les mêmes. En effet, les bateaux en Bretagne partent de 3 à 15 jours en mer alors qu’en Occitanie les bateaux n’ont pas le droit d’être en dehors du port plus de 18 heures d’affilée. Donc la transition énergétique ne va pas du tout être la même, on pourra éventuellement aller vers de plus grosses batteries puisque les bateaux auront plus de temps pour recharger, encore faut-il faire les calculs pour que cela soit viable économiquement parlant.  Cet équilibre TCO (Total Cost of Ownership) et réduction de CO2 nous a poussé à développer, à l’image de notre logiciel pour les flottes logistiques, une plateforme SaaS à destination des architectes et chantiers navals. EcoBoaTwin permet de simuler la consommation du navire pour différents scénarios d’usage et ainsi comparer les solutions alternatives d’un point de vue consommation de carburant mais aussi de retour sur investissement. Ensuite les marins pêcheurs en Espagne ont aussi eu vent de ce qu’on était en train de faire. La pêche est un tout petit monde et elle est très politisée au niveau Européen, donc les décideurs se rencontrent et parlent entre eux. Ensuite, avec tous les contacts présents dans les premiers consortiums on a monté un autre consortium européen entre l’Espagne, la Bretagne, l’Italie, l’Allemagne et un bateau en Écosse, cette fois pour faire voler les chaluts.
Photo des témoignages Sébastien Berthebaud, fondateur de Vectura System,

Faire voler les chaluts ?

Oui, l’objectif de ce projet de recherche est de faire décoller les chaluts ! Il faut voir un chalut comme si c’était un cerf-volant et quand on court avec un cerf-volant pour qu’il soit bien stable, il faut toujours ajuster la vitesse. On peut jouer sur des panneaux, des artifices qui seraient mis sur le chalut, il y en aura certainement, sauf que cela demande beaucoup d’énergie et c’est assez complexe à piloter. Sinon on peut jouer sur le bateau. L’objectif serait de combiner les deux pour que le chalut vole à 50 cm et qu’il ne frotte plus le fond. On réduit ainsi les trois grosses critiques du chalut : l’impact sur les fonds marins, le bruit lié à l’abrasion et la consommation de carburant. Après bien évidemment il reste certains poissons qui sont vraiment au fond et il faut les faire décoller avec des stimulus lumineux ou acoustiques. L’enjeu est de savoir à quelle hauteur on fait voler le chalut, si le chalut est à 50 cm, on sait quels poissons on peut attraper, ceux qu’il faut faire remonter et à quelle hauteur.
Photo des témoignages Sébastien Berthebaud, fondateur de Vectura System,
Un chalut la nuit en mer

Pour chaque projet tu réunis un consortium avec de nombreuses compétences, ensemble on va plus loin selon toi ? 

Sur quasiment tous les projets, personne n’est capable de tout faire tout seul. Et c’est ce qui est intéressant : faire dialoguer des grands groupes, des usagers, des industriels, des chercheurs et d’autres start-ups. C’est peut-être l’une de mes spécialités, je m’infiltre dans les écosystèmes comme la logistique ou les bateaux de pêche, j’analyse ce qui existe, ce que l’on peut reprendre et améliorer. Par exemple, faire voler les chaluts tout le monde y a pensé mais il faut regrouper un nombre énorme d’acteurs, faire parler des marins pêcheurs avec des industriels, avec des universités, etc. Ce sont des mondes différents qu’il faut connecter pour faire des grands projets qui peuvent aller beaucoup plus loin dans la décarbonation et l’impact. Pour moi, si on veut faire la transition, l’enjeu n’est plus sur les technologies, on les connaît presque toutes, on sait ce qui marche. Maintenant c’est où on les met pour avoir un vrai impact sur la décarbonation et l’équilibre financier.
Photo des témoignages

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