Cœur et Canopée – Entretien avec une entreprise engagée
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Cœur et Canopée – Entretien avec une entreprise engagée

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Chaque jour, des entreprises françaises s'impliquent activement dans la transition écologique. Des entrepreneurs engagés mènent diverses actions en faveur de la protection de la biodiversité, de la réduction de nos émissions de GES, tout en promouvant un mode de vie plus durable. En tant que média d'information, notre mission est aussi de vous partager ces initiatives vertueuses. Direction Rennes, dans un petit café de la place Saint-Germain où Capitaine Carbone a discuté avec Xavier Dommange, créateur de l’entreprise Cœur et Canopée. Son but ? Proposer aux organisations de planter une micro-forêt sur leur foncier grâce à la méthode Miyawaki. Son autre but ? Créer du lien entre les gens autour d’un projet commun connecté à la nature.

Bonjour Xavier, peux-tu nous parler du parcours qui t’a mené à la création de ton entreprise Cœur et Canopée en 2021 ?

Bonjour Capitaine, j’ai toujours aimé les mathématiques, la physique et la biologie, des appétences qui m’ont orienté assez naturellement vers la science. Je rêvais d’être photographe-volcanologue, mais comme ce métier n’existe pas vraiment, j’ai suivi la voie plus classique de la prépa. Ensuite, j’ai choisi une école de génie industriel, plutôt généraliste, qui m’a donné la possibilité de partir au Japon – un pays qui m’a toujours fasciné. Le génie industriel est un domaine intéressant parce qu’il donne les clefs pour transformer une idée en projet concret, et j’ai tout de suite décidé que j’allais appliquer cette méthodologie au vivant. En parallèle, je me suis toujours senti chanceux de bénéficier du cadre de vie et du modèle sociétal qu’offrait la France, et j’avais envie d’y contribuer à mon tour. J’ai donc exploré les différents secteurs où un progrès technique pouvait avoir un vrai impact – énergie, aérospatial, biotech. J’ai notamment travaillé avec Total Énergies sur les micro-algues pour produire du carburant, puis avec Airbus sur les modèles d’affaire liés aux nouveaux carburants. Mais après plusieurs années, j’ai pris un congé sabbatique pour voyager et prendre du recul. Pendant un an, je suis allé dans douze pays en passant chaque mois dans une ville différente où j’ai exploré un sujet par le travail. Cette expérience m’a ouvert les yeux : plus que de nouvelles technologies, on avait surtout besoin de progrès humains. À mon retour, j’ai lancé une première structure pour accompagner des entreprises vers le durable. C’était stimulant, mais frustrant : je travaillais souvent seul, et ce n’était jamais “mon” projet. Finalement, deux expériences m’ont marqué : l’accompagnement d’une association qui aidait les jeunes via des stages en nature, et la découverte de la méthode Miyawaki pour créer des micro-forêts urbaines. Mon travail sur les micro-algues auparavant était passionnant, mais trop éloigné du grand public. Les arbres, en revanche, parlent à tout le monde et m’ont semblé être un merveilleux vecteur pour créer du lien. C’est ainsi que la forêt a fini par l’emporter… et qu’est née Cœur et Canopée.
Photo des témoignages

Quelle est la mission de Cœur et Canopée ?

Notre mission, c’est avant tout de reconnecter les gens au vivant. On commence par des ateliers de découverte, puis on passe à l’action avec la création de micro-forêts participatives – sur des surfaces à partir de 100 m². On travaille beaucoup avec les entreprises, qui viennent chercher différentes choses : améliorer leur cadre de vie, créer     un îlot de fraîcheur à côté de leur structure, renforcer leur démarche RSE, créer du lien via du team building, ou encore favoriser la biodiversité. On plante la forêt ensemble, avec leurs équipes, sur leurs terrains ou à proximité de leur lieu de travail, et on les accompagne tout au long du processus. L’idée, c’est que chacun mette la main à la terre et devienne partie prenante de ces micro-forêts.
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Peux-tu détailler comment tu accompagnes précisément les entreprises ou d’autres organisations qui souhaitent planter une micro-forêt sur leur foncier ?

L’accompagnement commence souvent par un atelier autour du vivant sur l’histoire de la nature, le biomimétisme ou directement sur le concept de micro-forêt. Cet échange est une première approche pour que les gens comprennent ce que cela implique et, bien souvent, c’est ce qui leur donne envie de passer à l’action. À partir de là, on construit le projet en fonction de la surface disponible : une petite forêt dense, ou bien, si l’espace le permet, une micro-forêt complétée par une aire de repos, voire un verger. Chaque projet est pensé sur mesure. Concrètement, on réalise une visite de faisabilité, on analyse le sol, puis on coordonne les différentes étapes de préparation du terrain. Le jour J, on plante la forêt avec les collaborateurs, dans un moment collectif fort. Ensuite, il y a toute la phase d’entretien et de suivi. On forme les équipes à prendre soin de la forêt, et on assure le suivi pendant deux à trois ans, le temps qu’elle devienne autonome. Après il n’y a plus qu’à la regarder grandir.
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La méthode Miyawaki commence à être connue maintenant, mais il n’est jamais vain d’en rappeler les grands principes et les bénéfices par rapport à d’autres manières de faire…

Avec plaisir ! L’expression “Forêt Miyawaki” a été utilisée un peu à tort et à travers pour englober tout ce qui ressemblait à une plantation dense et de petite taille, mais ces mots renvoient à quelque chose de précis. La méthode a été développée par le botaniste japonais Akira Miyawaki, non pas comme une “recette de plantation” figée, mais comme une véritable méthode applicable partout dans le monde. Le principe est  d’observer, dans un premier temps, ce que la nature mettrait en place toute seule si l’homme n’intervenait pas. Et ça change selon les territoires : le sud de Rennes n’évolue pas comme le nord de Paris ou le sud de Marseille. On s’inspire donc de la végétation naturelle potentielle du lieu pour choisir une bonne vingtaine d’essences locales à planter. Ensuite, on prépare le sol de manière à imiter les premières étapes de la succession écologique. Normalement, la nature met deux à trois cents ans pour établir un écosystème forestier mature. Avec la méthode Miyawaki, on recrée directement les conditions du sol forestier, de façon imparfaite bien sûr, mais suffisamment proche pour accélérer le processus. Cela permet de passer d’un terrain nu à une forêt dense et résiliente en quelques dizaines d’années seulement. C’est particulièrement utile en milieu urbain, où on n’a pas le luxe d’attendre trois siècles. Il y a aussi une philosophie derrière : l’homme n’est pas un architecte qui conçoit une végétation adaptée à partir d’une feuille blanche. Son rôle est plus humble : observer, comprendre la logique de l’évolution naturelle, et lui donner un petit coup de pouce. Et ça marche très efficacement : les forêts poussent vite, deviennent autonomes et recréent des écosystèmes riches et robustes.
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On parle beaucoup de replanter des arbres, notamment pour la partie captation et stockage de CO2, mais on est d’accord qu’il faudrait déjà sauvegarder ceux qui sont là depuis longtemps ?

Absolument, le premier réflexe doit être de préserver ce qui existe déjà. Les forêts anciennes et les arbres matures rendent des services écosystémiques immenses : ils abritent une biodiversité exceptionnelle, régulent le climat, l’eau, l’air… Bref, ils sont essentiels. On l’oublie parfois, mais toute notre économie, même les secteurs qui paraissent très éloignés du vivant – comme le numérique –, repose en fin de compte sur une biodiversité saine, équilibrée, adaptée et abondante. Préserver l’existant, c’est éviter de perdre du temps et de la valeur. Ensuite, vient le deuxième levier : planter sur des terrains dégradés, inutilisés ou artificialisés. Et là, il existe plein d’approches : planter pour exploiter, pour préserver, ou simplement pour créer des espaces de fraîcheur et de repos. Dans un contexte de canicules, de pluies extrêmes ou de sols épuisés, on a besoin de végétation qui soit là uniquement pour ce qu’elle est, sans forcément chercher un retour sur investissement financier, direct et immédiat. C’est un enjeu qui touche autant les collectivités que les assureurs : sans végétation, les coûts et les risques augmentent. Et la plantation ciblée, guidée par les cartographies d’îlots de chaleur, des réseaux d’eau ou de la qualité de l’air, peut vraiment faire la différence. Enfin, il faut bien voir la force unique du vivant : une solution technique ou technologique – des préaux, des ombrières solaires, des systèmes connectés – demande de la maintenance et perd en efficacité avec le temps, en revanche une forêt devient de plus en plus efficace en grandissant. Certes, le vivant est imprévisible et complexe, mais c’est justement cette complexité qui joue en notre faveur. Même si les sciences n’arrivent pas encore à en tracer tous les effets, elle travaille pour nous.
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En tant qu’humain, on a souvent besoin de mesurer, maîtriser… Comme tu l’as dit, la nature est complexe, imprévisible, comment convaincre de miser sur des méthodes comme celle de Miyawaki, qui se base justement sur le fait que la nature reprend ses droits ?

C’est vrai que la complexité et l’imprévisibilité du vivant peuvent dérouter. Contrairement à une technologie, qu’on arrive à suivre et à mesurer, la nature fonctionne à des échelles et selon des logiques qu’on ne maîtrise pas totalement. Parfois, quand quelque chose meurt, on ne sait pas comment ni par qui la matière sera réutilisée… mais on sait que la vie trouvera toujours la meilleure façon d’employer ce qui est disponible. C’est ça, l’intelligence du Vivant. Ce manque de contrôle est aussi tout à fait stimulant ! On n’a pas besoin de tout comprendre pour constater les bénéfices : une rue bordée d’arbres n’a rien à voir avec une rue entièrement bétonnée. On voit bien la différence. Pourtant, comme l’air que l’on respire, beaucoup de ces bénéfices passent inaperçus parce qu’on y est tellement habitués qu’ils nous semblent “aller de soi”. Il faut se rappeler que, pendant l’immense majorité de notre histoire, Homo sapiens a vécu en lien direct avec le vivant. Jusqu’au XIXe siècle, on avait encore conscience d’être très lié et donc très dépendant du Vivant. Mais, à partir de là, en poursuivant des objectifs tout à fait louables, comme l’amélioration des conditions de vie – l’allongement de l’espérance de vie, la baisse de la mortalité infantile, plus de sécurité et de confort – on a progressivement cherché à maîtriser de plus en plus notre environnement, à le rendre prévisible. Résultat : on s’est éloignés de la nature, au point de paver le sol sous nos pieds pour s’assurer de ne pas trébucher. Ce mouvement, récent à l’échelle humaine, est compréhensible. Mais aujourd’hui, on se rend compte qu’il nous a isolés, et que notre mode de vie occidental met en danger les écosystèmes sur lesquels, pourtant, il repose. Ce n’est pas un constat qui doit nous désespérer, mais qui peut nous inciter à comprendre ces écosystèmes et à inventer un mode de vie qui redevient compatible avec leur renforcement. Parce qu’avec les outils scientifiques que nous avons développés, nous pouvons maintenant observer, analyser et mieux comprendre ce qui se joue. Il nous faut rester humbles. La science en est encore à ses débuts sur le sujet du Vivant : on ne sait même pas vraiment expliquer ce qu’est la vie. Alors, bien sûr, continuons à élargir le champ de nos compréhensions – c’est passionnant. Mais en parallèle, il y a urgence à aligner notre mode de vie et nos consommations sur une utilisation saine et durable de nos ressources. Puis à comprendre que l’expression “utilisation des ressources” ne doit plus être appliquée pour désigner notre relation au Vivant. Mais ça, ce sera quand notre société sera sortie de sa pré-adolescence. En attendant, certains outils sont déjà à notre disposition, comme le biomimétisme. On peut donc déjà agir en s’en inspirant, par exemple pour planter de manière adaptée et alignée. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
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Beaucoup d’entreprises veulent aussi planter des arbres pour obtenir des crédits carbone, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, mais est-ce que si c’est leur objectif principal, Cœur et Canopée sera la meilleure option ?

C’est une bonne question que je vais aborder de manière un peu conceptuelle. Le carbone, c’est l’indicateur sur lequel tout le monde s’est concentré, surtout parce qu’il semblait simple à mesurer. Mais en réalité, ce n’est pas si simple : certains outils de mesure se concentrent essentiellement sur le carbone que les arbres stockent dans leur partie aérienne, mais     aujourd’hui de nombreuses études montrent que 80 % du carbone absorbé par un arbre est transmis à la vie souterraine par ses racines. Ce qui reste très difficile à comptabiliser. Donc oui, le carbone est un repère utile, mais ce n’est qu’un indicateur parmi d’autres. Et par ailleurs, le carbone n’est pas un but en soi. L’objectif, ce n’est pas d’être “neutre carbone” : c’est de maintenir des conditions viables pour l’espèce humaine. Alors, pour répondre à la question, si une entreprise vient nous voir uniquement pour compenser ses émissions, on peut le faire, oui, mais sur de petites surfaces. On proposera un chiffrage aussi juste que possible     de manière à pouvoir être intégré aux différentes rapports, CSRD* par exemple. Après, si elle veut un gros impact carbone immédiat, il vaut mieux aller vers des organismes qui plantent des milliers d’arbres à l’autre bout du monde. Mais là, on ne verra jamais les arbres, on ne saura pas vraiment ce qui a poussé, ni quel est l’impact réel. Nous, on propose autre chose : des projets locaux, visibles. Les collaborateurs vont planter cette forêt eux-mêmes, ils la verront grandir, en parleront  à leurs enfants et leurs proches. Et surtout, ces micro-forêts apporteront bien plus que du stockage de carbone : elles ramèneront de la biodiversité, de la fraîcheur, elles soigneront les sols, amélioreront la qualité de l’air tout en créant  du lien humain. Bref, elles apportent des bénéfices multiples, ici, maintenant et pour longtemps. Donc oui, on peut générer du crédit carbone, mais notre approche va bien au-delà : il s’agit surtout, je le répète, de reconnecter les gens au vivant, de donner du sens et de l’enthousiasme à l’action, de ne pas se tromper d’enjeu. C’est là que Cœur et Canopée apporte sa vraie valeur.
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L’enthousiasme est un mot qui revient beaucoup dans ton discours, est-ce que cette dimension joyeuse dans ta démarche est un bon moyen de rendre l’écologie désirable face à ce qu’on appelle “l’écologie punitive” ? 

Oui, complètement. Dans Cœur et Canopée, il y a deux piliers. La canopée, c’est la forêt, l’ancrage concret : on a déjà planté une vingtaine de micro-forêts en France et ailleurs, et ça, c’est du tangible, on avance. Et le cœur, c’est l’enthousiasme : la joie de faire, de partager, de créer du lien autour du vivant. Parce qu’on en a vraiment besoin aujourd’hui. Bien sûr, il y a des réalités difficiles et anxiogènes, mais sans porter de jugement sur une écologie dite punitive, je choisis d’embarquer les gens autrement que par la peur. Quand j’ai créé Cœur et Canopée, j’avais envie de proposer une autre voie : celle de la joie mais aussi de la conscience qu’on peut préparer des conditions de vie plus douces pour ceux qui viennent derrière nous. Quand on plante, dans la terre, une forêt avec nos mains, quand on touche un arbre à racines nues, quand on observe un oiseau ou une abeille, il se passe quelque chose de profond, et c’est cette sensibilité que l’on souhaite développer. On est câblés pour être émerveillés par le vivant. Et cet émerveillement, ce n’est pas juste une distraction, c’est une clé dont on se sert pour transmettre et faire comprendre à quel point il est important de prendre soin de notre Maison.
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Si vous souhaitez découvrir Cœur et Canopée : coeuretcanopée.com

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