Chaque jour, des entreprises françaises s'impliquent activement dans la transition écologique. Des entrepreneurs engagés mènent diverses actions en faveur de la protection de la biodiversité, de la réduction de nos émissions de GES, tout en promouvant un mode de vie plus durable. En tant que média d'information, notre mission est aussi de vous partager ces initiatives vertueuses. C'est dans ce contexte que Capitaine Carbone est parti à Bordeaux pour rencontrer Léo Guarneri, fondateur de la toute jeune entreprise Afoodi, qui propose aux restaurateurs d’optimiser leurs menus pour les décarboner.
Bonjour Léo, peux-tu nous parler du parcours qui t’a mené jusqu’à la création d’Afoodi il y a quelques mois ?
Bonjour Capitaine, oui bien sûr. J’ai toujours été dans le monde de la restauration, à 18 ans j’ai fait mon apprentissage au Georges V à Paris, j’ai donc eu la chance de travailler en cuisine dans un 3 étoiles Michelin. Cette expérience a été très formatrice, j’ai appris une manière de m’organiser pour aller vers l’excellence. Ensuite à 22 ans, je suis parti à Londres, j’ai ouvert un premier restaurant puis j’ai monté un groupe qui faisait de l’import de produits français pour les restaurateurs. Je suis devenu chef d’entreprise très jeune et pendant 10 ans, j’ai appris énormément sur toutes les facettes du métier de la restauration. Après le Brexit, j’ai dû stopper cette activité et me réinventer. De ce parcours, deux liens se font naturellement avec Afoodi aujourd’hui. D’abord un lien « technique » puisque pendant ces années à Londres j’ai expérimenté et poussé ce qu’on appelle le « menu engineering » ou « ingénierie des menus » en français.
Le deuxième lien est au niveau de mon engagement comme ambassadeur de l’association Slow food depuis mes 20 ans. Slow Food est une association qui promeut l’alimentation durable dans le monde entier en favorisant les échanges entre toutes les parties prenantes : des agriculteurs aux chefs en passant par les distributeurs, etc. Tous les deux ans, ces acteurs se réunissent et peuvent évoquer ensemble les réalités de leurs métiers, pour prendre les problématiques à la racine. Et donc moi, quand j’étais restaurateur, la racine de notre problème c’était évidemment la rentabilité. Avec Afoodi j’ai voulu créer une solution qui prend en compte la rentabilité des restaurateurs tout en leur donnant les clefs pour décarboner leur menu.
Parlons d’Afoodi plus précisément, comment faites-vous pour aider les restaurateurs à optimiser leur menu ?
La mission d’Afoodi, comme je l’ai dit, c’est de travailler sur la carte des restaurateurs pour garantir la rentabilité tout en diminuant l’impact carbone. J’insiste sur ce point, parce qu’il n’y aura pas de changement possible si notre solution ne répond pas à ces deux paramètres en même temps, l’un ne va pas sans l’autre. Pour cela on utilise la méthode que j’évoquais, l’ingénierie des menus. A la base, c’est une méthode complexe et très fastidieuse si on fait ça à la main, ce n’est donc pas abordable quand on a des restaurants à faire tourner. C’est pour cette raison que je me suis dit que la technologie pouvait aider à la rendre plus accessible, et je suis allé voir l’Inria*, qui supervise les recherches sur l’IA en France. J’ai eu la chance qu’ils croient en mon projet et ils m’ont permis de financer toute la R&D pendant un an. J’en ai profité pour me former à l’entreprenariat opérationnel tourné plutôt vers la tech. Ensuite je me suis associé à Jay Deslauriers, qui a une forte expertise en analyse de données, et en 2024 on a lancé Afoodi officiellement.
*Institut des recherches en sciences technologiques et du numérique
Peux-tu nous expliquer en quoi consiste exactement la méthode de l’ingénierie des menus ?
Derrière ce nom barbare se cache en fait une méthode qui a été créée dans les années 70-80 par un restaurateur et un universitaire américains. Ils ont regardé comment un menu était agencé, écrit et à quoi cela correspondait en termes de marge et de rentabilité. Pourquoi ? Parce que le menu, c’est l’élément essentiel, c’est tout simplement l’offre du restaurateur qui peut passer des semaines, voire des mois à préparer son menu. Il faut qu’ils prennent en compte les fournisseurs, les envies du chef, la concurrence, les prix, etc. Le client lui passe seulement 90 secondes à parcourir le menu et faire son choix. Toutes les décisions qui sont prises pour arriver à ce menu ont une énorme incidence sur la rentabilité et sur l’impact carbone. Il faut savoir qu’aujourd’hui 90% de l’impact carbone d’un restaurant vient de son scope 3, donc si on caricature, de ses approvisionnements. À l’intérieur de ces approvisionnements, 90% de l’impact provient de la méthode de production et non pas du transport comme on pourrait le penser. Pour en revenir au principe du menu engineering, on va agglomérer des informations en lien avec les menus proposés (les plats populaires, les ingrédients utilisés, les prix indiqués, etc.) pour trouver comment les réorganiser, par une politique de prix, par une politique de design, par une politique d’offre, pour qu’ils soient plus performants. Le plus important pour un restaurateur c’est de durer, donc pour pérenniser son entreprise, la variable rentabilité est essentielle, et ensuite nous ajoutons la donnée environnementale, ce qui permet de transformer les organisations en profondeur. On commence à le faire avec nos premiers clients et on voit qu’il y a une vraie transformation au niveau de la rentabilité. Concernant l’impact carbone, il est encore trop tôt pour publier des chiffres, mais déjà le fait de mesurer provoque une vraie prise de conscience chez eux.
Dans la restauration, il y a des modèles très différents, quel type de restaurateur vous ciblez avec votre solution ?
On adresse principalement des groupes de restauration indépendants. Typiquement, c’est le restaurateur qui a 5 à 10 restaurants et qui est en train de structurer son offre pour pouvoir grandir. Par exemple, en ce moment nous travaillons avec un groupe qui fait de la cuisine réunionnaise authentique, fait-maison, et qui a déjà 7 restaurants. Ils sont en train d’aller vers une dizaine de restaurants, c’est donc le moment pour eux de structurer leur organisation. Grâce à notre solution et notre accompagnement, on peut leur faire des recommandations précises de terrain pour les aider à travailler sur les sujets de la marge et de l’impact carbone.
Pour entrer dans le détail de votre méthode, concrètement comment se passe un accompagnement avec Afoodi ?
La première étape c’est évidemment un diagnostic, on regarde ce qui est fait actuellement et on mesure notre duo rentabilité/impact. On va avoir une approche positive en pointant en premier ce qui fonctionne bien, ce qui n’est pas nécessaire de changer, et même ce qu’il faut valoriser dans leur communication. Déjà, un changement s’opère en mettant en avant ce qui est bien fait ! La deuxième étape, c’est de leur faire des recommandations pour améliorer leurs recettes qui soient réalisables pour eux sur le terrain. Par exemple, on ne leur dit pas de changer de fournisseur, c’est un changement trop lourd, surtout si la confiance est établie depuis longtemps entre eux. On va plutôt regarder chez le fournisseur en place ce qu’il a dans sa liste et qui serait plus judicieux d’utiliser. Ensuite on va les aider à rééquilibrer les recettes, parfois en réduisant le pourcentage de protéines par rapport aux garnitures. C’est l’exemple type puisque la viande est plus chère et plus impactante pour l’environnement que les légumes. On parle souvent d’impact carbone, mais c’est plus large évidemment, on va mesurer 16 indicateurs environnementaux en travaillant avec la base de données Agribalyse produite par l’ADEME. Cette base de données existe depuis une dizaine d’années et permet d’avoir l’impact de chaque produit agricole calculé par des scientifiques. Enfin, on fournit une feuille de route avec des objectifs, pour que ces évolutions se fassent progressivement. Nous voulons que le restaurateur garde la maîtrise, c’est le meilleur moyen d’enclencher des changements en profondeur.
La cuisine est aussi un art, est-ce que votre méthode avec ce côté très rationnel, ne devient pas un frein à la créativité des chefs ?
C’est très, très important de prendre ce paramètre de la créativité en compte. C’est clairement la plus grande défiance à laquelle on est confronté dans l’immédiat. C’est là où mon expérience personnelle prend le relais pour rassurer les cuisiniers. Je connais le terrain, je l’ai pratiqué, et notre but ce n’est absolument pas de brider la créativité des chefs, bien au contraire ! On va justement dire aux chefs : Quelles sont vos idées ? Et nous on fera des recommandations en fonction de leurs idées. L’ingénierie intervient pour prendre en compte l’ensemble des informations liées au savoir-faire des chefs — ce qui représente des dizaines de milliers de lignes de données — pour livrer des recommandations concrètes et adaptées au contexte, qui ne soient pas hors-sol. Je suis également persuadé que plus les restaurateurs vont valoriser cette démarche, plus ils vont gagner une nouvelle clientèle sensible à cet engagement environnemental.Le recrutement en restauration est aussi un énorme sujet, le fait d’avoir un engagement sincère et concret sera forcément plus attractif pour du personnel de restauration qui a majoritairement moins de 30 ans.
Pierre Gagnaire, célèbre chef multi étoilé , disait dans une émission sur France inter, que les restaurants étoilés en recherchant des produits d’excellence font déjà le boulot côté environnement sans forcément valoriser cet aspect. Est-ce qu’il y a tout de même un travail de sensibilisation et de pédagogie à faire auprès de tous les restaurateurs à votre avis ?
Totalement. J’admire énormément, Pierre Gagnaire, c’est un grand monsieur de la cuisine, et je comprends ce qu’il veut dire, mais les enjeux sont différents entre un étoilé, et un restaurant plus accessible. En fait, un restaurant trois étoiles ce n’est pas un business modèle viable, c’est surtout une histoire de passion et souvent elle est financée par d’autres choses : comme du consulting ou des publicités que feront des chefs renommés, l’ouverture d’autres restaurants comme des brasseries, des bistrots… Donc oui dans un trois étoiles, on peut se permettre d’être engagé, d’aller chercher les meilleurs produits locaux,… Et encore, il faut nuancer parce qu’il y a toujours beaucoup de gaspillage dans certains grands restaurants qui ne vont garder que des parties infimes de tel ou tel produit. Donc pour moi il ne faut pas faire de généralités, mais il y a encore du travail de sensibilisation et d’information à faire sur la durabilité auprès des restaurateurs de tout type.
Vous utilisez l’IA pour traiter ces données, nous savons que l’IA est un outil puissant mais énergivore, comment faites-vous pour que le médicament ne soit pas pire que le mal, autrement dit que l’utilisation de l’IA « n’annule pas » les effets positifs de votre solution chez les restaurateurs ?
C’est une question fondamentale et un vrai dilemme que nous avons eu en interne. Effectivement quand le projet a démarré, très honnêtement on n’avait pas encore conscience de l’impact environnemental de l’IA. Ensuite le sujet s’est imposé parce qu’on voulait évidemment être cohérent dans notre démarche. Si on utilise une solution qui dépense plus d’eau et de CO2 que ce qui va être réduit chez les restaurateurs, cela n’aura aucun sens. En dehors de la partie IA, on fait en sorte d’être aligné avec nos valeurs sur tous les autres aspects comme nos déplacements par exemple, et concernant l’IA on va passer un cap dès cette année grâce à un partenariat avec une association qui s’appelle Gen AI iMPACT pilotée par Samuel Rincé. On collabore sur l’outil EcoLogits qui mesure l’impact de chaque requête qu’on va formuler à l’IA pour savoir exactement ce que cette demande va consommer en eau, en électricité et en émissions carbone. Le but ensuite est de comparer l’impact de notre IA avec ce qu’on a permis de réduire chez nos clients. C’est vraiment tonne de carbone contre tonne de carbone. On travaille sur cet outil en open source pour qu’il puisse bénéficier à tout le monde. On sera d’ailleurs présent au salon VivaTech, pour annoncer officiellement ce partenariat et montrer les premières étapes de ce qui a déjà été initié grâce à cette collaboration.
Quels sont vos projets à long terme avec Afoodi ?
Pour l’instant on commence par cet accompagnement chez les restaurateurs, mais notre grande ambition est vraiment de remonter chaque filière, étape par étape, et de trouver comment faire mieux chez les distributeurs, les producteurs, etc. Pour l’instant, on travaille dans le quotidien des restaurateurs, dans leur réalité, pour les aider à tenir la distance, et à s’engager sur des pratiques qui respectent l’environnement.
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