Interview Myriam Maestroni : “il faut former une nouvelle génération de leaders capables de dépasser les logiques de confrontation…”
Actualités

Interview Myriam Maestroni : “il faut former une nouvelle génération de leaders capables de dépasser les logiques de confrontation…”

< 1 min. de lecture

Spécialiste reconnue des questions de mix énergétique, d’efficacité énergétique et de transition zéro carbone, Myriam Maestroni a occupé des fonctions de direction au sein de grandes entreprises du secteur de l’énergie, notamment chez Primagaz entre 2003 et 2011. Engagée de longue date sur les enjeux climatiques, sociétaux et économiques, elle fonde et dirige la société Économie d’Énergie jusqu’en 2020. Elle est également à l’origine de la fondation E5T, lancée en 2011 pour favoriser une transition énergétique basée sur l’innovation, les territoires, les technologies et le leadership. Capitaine Carbone a rencontré Myriam Maestroni pour évoquer le programme 100 leaders pour la planète, une initiative ambitieuse qui vise à former des professionnels capables de devenir des moteurs de transformation au sein de leurs organisations, en articulant vision stratégique, action concrète et engagement collectif.

Bonjour Myriam, avant de parler du programme de formation 100 leaders pour la planète, est-ce qu’on peut resituer ce qu’est 100 leaders pour la planète, et quel est le lien avec le fonds E5T 

Bonjour Capitaine, pour commencer j’aimerai dire que 100 leaders pour la planète est plus qu’un programme de formation, c’est d’abord un mouvement de fond, né de l’expérience de la Fondation E5T et de ses travaux sur la transition énergétique, économique et sociétale. L’ambition de ce mouvement est de préparer des décideurs capables de comprendre et d’agir dans un nouveau paradigme que nous appelons écoénergétique, fondé sur quatre piliers : une croissance décarbonée, la prise en compte des externalités, l’ancrage territorial des solutions, et l’innovation. Ce projet s’inscrit pleinement dans la logique d’E5T, qui depuis ses débuts plaide pour une approche intégrée des grands enjeux contemporains : climat, énergie, économie, société. Pour nous tout est lié, on ne peut pas décorréler tous ces paramètres. Au-delà de ne plus polluer, de se décarboner, de gérer ses déchets, il faut qu’on entre dans une économie régénérative. Nos événements, nos publications, nos échanges avec des experts, des acteurs de terrain ou des industriels nous ont conduit à une conviction forte : il faut former une nouvelle génération de leaders capables de dépasser les logiques de confrontation (nucléaire vs renouvelable, centralisé vs décentralisé, etc) pour penser la complémentarité, la cohérence et l’impact concret des décisions. C’est une véritable cathédrale à construire ensemble. 100 leaders pour la planète est donc la continuité naturelle de ce travail de fond, avec une approche résolument orientée vers l’action. Nos formations s’adressent à des professionnels en poste, à des personnes engagées dans leurs entreprises ou leurs territoires, qui veulent acquérir les outils intellectuels, culturels et stratégiques pour contribuer à cette grande transformation.
Photo des témoignages

Concrètement quel est le contenu du programme de formation proposé par 100 leaders pour la planète ?

Le programme 100 leaders pour la planète a été conçu pour s’adapter aux agendas déjà bien remplis des professionnels tout en ayant un maximum d’impact et de profondeur. L’idée n’est pas de les surcharger, mais de les inspirer, de les faire monter en compétence, et surtout de leur donner les moyens d’agir concrètement. Le parcours repose sur une pédagogie hybride et immersive : une session en ligne (webinaire) chaque mois en fin de journée, des masterclass accessibles en asynchrone, des learning expeditions, des formats plus participatifs comme des escape games de sensibilisation, ainsi qu’un accès à des ressources concrètes et activables immédiatement dans l’entreprise. L’objectif est de permettre à chacun d’apprendre, d’expérimenter, de partager et de construire sa propre feuille de route, tout en embarquant ses équipes. Car être leader, c’est aussi savoir entraîner, transmettre une vision, susciter l’adhésion. Ce programme propose une vraie boîte à outils pour faire émerger des solutions adaptées à chaque contexte, à chaque structure, en partant d’un principe simple mais fondamental : il ne s’agit pas de subir les transitions, mais d’en devenir acteur, à son échelle. Même modeste, chaque engagement compte. Nous vivons un moment unique, où il est possible de redéfinir les contours de notre économie, de nos modèles de production, de notre rapport au vivant. Pour cela, nous avons réuni des intervenants aux profils variés et exigeants : chercheurs, experts, entrepreneurs, acteurs de terrain. Des personnes capables de transmettre à la fois des savoirs solides et des expériences vécues. Nous croyons en la force de l’exemplarité, en la puissance du récit et en la diversité des approches : il n’y a pas une seule bonne solution, mais des combinaisons à imaginer et à adapter. C’est aussi un état d’esprit que nous cultivons : celui d’un leadership lucide, engagé, et optimiste. Un leadership qui ne nie pas la complexité et les difficultés, mais qui choisit de faire face, de coopérer, de transmettre. Le programme vise à redonner du souffle, de la clarté, et surtout l’envie d’agir avec courage et discernement.
Photo des témoignages

On peut donc dire que cette formation est construite sur le constat que beaucoup de gens veulent s’engager mais ne savent pas comment faire et n’ont pas forcément les outils intellectuels pour répondre à certains arguments au sein de leur structure, c’est donc toutes ces clés que 100 leaders pour la planète souhaite leur donner…

Tout à fait. À partir du moment où l’on a l’envie de s’engager, il faut pouvoir accéder à des clés de compréhension, des outils intellectuels, mais aussi à un espace de dialogue, de partage et d’apprentissage. C’est précisément ce que propose 100 leaders pour la planète : donner à chacun, quel que soit son point de départ, les moyens d’agir avec lucidité et impact, sans se poser en donneur de leçons. Nous vivons une période où les signaux d’alerte climatiques se multiplient — chaque semaine apporte son lot d’événements extrêmes. Mais en parallèle, chaque semaine voit aussi émerger des initiatives, des solutions, des projets porteurs d’espoir. C’est cette tension permanente entre urgence et innovation que doivent aujourd’hui appréhender les professionnels, et notamment les entrepreneurs, que nous plaçons au cœur du dispositif. L’enjeu est de développer une posture d’action éclairée, je le répète, il ne faut pas nier la complexité de la situation. Le dogmatisme, la simplification à outrance n’ont pas leur place dans cette transition, il faut agir, oui — mais avec exigence et discernement. Les raccourcis idéologiques sont un vrai danger, à la fois pour nos industries, pour notre souveraineté économique et pour notre capacité à reconstruire une économie résiliente, compétitive et compatible avec les limites planétaires. Nous croyons profondément à la vertu d’un leadership engagé, pragmatique et informé. Et à la nécessité de lui offrir un cadre d’accompagnement solide, pour faire émerger des acteurs capables de contribuer durablement à cette transformation.
Photo des témoignages

Vous parliez de cathédrale à construire, est-ce que justement le fait de former tout un réseau de personnes qui pourront agir à l’intérieur de leurs structures professionnelles – et qui vont avoir ce même socle de connaissances, ce même engagement – est un moyen d’éviter que la Maison (notre écosystème) s’écroule totalement, en renforçant les fondations ?

Oui, absolument. Nous avons la conviction que la solution ne viendra pas d’un seul endroit, ni d’un seul acteur, mais qu’elle sera collective, systémique, et qu’elle devra irriguer l’ensemble des structures capables d’impulser des transformations réelles : les entreprises, bien sûr, mais aussi les collectivités locales, les centres de recherche, les pôles de compétitivité, les élus… C’est pour cela que, dès l’origine, nous avons tenu à ce que 100 leaders pour la planète rassemble une grande diversité de profils et de parties prenantes. Car ce sont bien les personnes engagées, crédibles et lucides qui peuvent enclencher des dynamiques de changement autour d’elles, et faire en sorte que cette transformation prenne racine dans la réalité. Former ces leaders, c’est travailler les fondations, précisément pour éviter que notre écosystème vivant, ne s’effondre. C’est transmettre un socle de compétences, d’outils, mais aussi une vision partagée. C’est la différence entre pédaler sans but et avoir une direction. Si je monte sur un vélo sans savoir où je vais, je m’épuise. Mais si je sais que je vais de Paris à Rome, alors je peux choisir mon itinéraire, faire des détours, mais je garde un cap. Et ce cap, c’est le sens. Sans sens, il y a désengagement. Il y a lassitude, confusion, perte d’énergie. On tourne en rond, comme les Shadoks qui pompent sans fin, sans but. Aujourd’hui, nous sommes submergés d’informations, de signaux d’alerte climatiques, de contradictions politiques, et cela génère une forme de tétanie collective. Mais certains savent utiliser ces vagues comme des surfers : ils en font leur carburant. Et c’est là toute la différence. Le leadership que nous souhaitons encourager repose sur la combinaison d’une intelligence rationnelle (QI) et d’une intelligence émotionnelle (QE). Car pour affronter l’incertitude et construire cette économie décarbonée à laquelle nous aspirons, il faut de la compétence, de l’endurance, mais aussi de la clarté intérieure. Nous ne pouvons pas rester éternellement dans une forme de « transition » abstraite. Une transition a un point de départ et un point d’arrivée. L’Europe, en 2019, a donné une direction claire : la neutralité carbone d’ici 2050. Mais aujourd’hui, nous faisons un pas en avant, deux pas en arrière. D’autres blocs avancent : la Chine investit massivement dans le renouvelable, l’aéroport de New Delhi est carbone neutre… Quand la direction est fixée, les choses bougent. Il est donc urgent de ne pas rester figés, paralysés dans l’attente d’une solution miracle, d’un « messie énergétique » qui viendrait tout résoudre. Cela fait trente ou quarante ans que l’on cherche cette solution idéale. Peut-être qu’elle viendra, peut-être pas. Mais en attendant, nous devons agir. Et cela passe aussi par les citoyens engagés dans leurs entreprises, capables de faire levier à l’intérieur même des structures, et parfois même de faire bouger les lignes politiques. C’est pour cela que nous croyons profondément à cette dynamique de formation, de transmission, de réseau.
Photo des témoignages

Pendant cette formation, il y a aussi une mise en application des connaissances avec une feuille de route que vont devoir établir les participants au sein de leur organisation, vous pouvez nous en dire plus sur cet aspect ?

L’objectif de 100 leaders pour la planète n’est pas simplement d’assister à des masterclass et d’acquérir des connaissances — ce qui est déjà précieux en soi — mais aussi de passer à l’action, concrètement, au sein de sa propre organisation. Chaque participant est invité, tout au long du programme, à élaborer une feuille de route personnalisée, adaptée à son contexte professionnel, à ses moyens, à ses leviers d’influence. Pour garantir à la fois la rigueur académique et la dimension opérationnelle de cette démarche, nous avons établi un partenariat avec l’université Paris Dauphine – PSL, une institution de référence, qui nous permet d’adosser cette dimension pratique à un cadre d’excellence. C’est une manière d’allier exigence intellectuelle, crédibilité et applicabilité. Concrètement, les participants sont accompagnés dans la construction d’un plan d’action progressif mais mobilisateur. Et ce que nous observons déjà, après trois années d’expérience, c’est que ces feuilles de route donnent naissance à de véritables dynamiques de transformation, parfois modestes au départ, mais porteuses d’impact. Parce qu’on ne devient pas Steve Jobs en un jour — et parce que l’innovation naît souvent de petits pas — cela peut commencer par un Climate Day en entreprise, un atelier participatif, ou même un simple pique-nique zéro déchet pour amorcer une culture du changement. Ce sont parfois ces initiatives simples, ancrées dans le quotidien, qui ouvrent des prises de conscience durables, bousculent les croyances et enclenchent des cercles vertueux. L’idée, c’est que chacun sorte de la formation avec un projet concret, incarné, prêt à être mis en œuvre, et surtout une méthode pour embarquer ses équipes dans la durée.
Photo des témoignages

Les enjeux auxquels nous faisons face ne s’arrêtent pas aux frontières de la France évidemment. Est-ce que le programme 100 leaders pour la planète a également une vocation européenne, voire internationale, à l’image de vos autres actions au sein d’E5T ?

Bien sure, oui. L’un des leviers les plus puissants aujourd’hui, c’est la dimension européenne, j’en suis persuadée. J’ai passé 30 ans de ma vie professionnel dans le secteur de l’énergie, et j’ai beaucoup entendu parlé d’« union de l’énergie », mais dans les faits, chaque pays européen continue d’avancer selon ses propres critères de souveraineté, avec des mix énergétiques très disparates et peu de vision commune réellement construite. Cela dit, on a vu que l’Europe peut se mobiliser collectivement, comme ce fut le cas avec les économies d’énergie face à la guerre en Ukraine. Cet exemple illustre l’importance d’une dynamique ascendante d’une Energy Efficiency Union portée par les citoyens et les entreprises. Avec 100 leaders pour la planète, notre ambition est claire : créer un réseau de leaders engagés, capables d’interagir à l’échelle européenne, voire au-delà, avec leurs homologues, pour échanger, se challenger, s’inspirer mutuellement. Car dès qu’on sort du cadre national, les problématiques changent, les réponses aussi. Ce regard croisé est essentiel pour ne pas rester enfermés dans des visions auto-centrées ou des idées reçues. Nous avons d’ailleurs été parmi les premiers à aller observer ce qui se passait en Chine, sans naïveté mais sans condescendance non plus. Et comme je le disais, la Chine avance sur les énergies renouvelables. Il est urgent d’arrêter de se rassurer avec des clichés : le Texas, par exemple, que l’on voit comme l’État roi du pétrole est aussi aujourd’hui la région des États-Unis qui produit le plus d’énergie renouvelable. Le monde bouge très vite, il se transforme parfois de manière inattendue, et la géopolitique instable nous pousse à la résilience, à l’adaptation permanente. Pour ne pas céder à l’immobilisme, il faut cesser de se réfugier derrière des excuses ou des visions partielles. La France représente 1 % des émissions mondiales : même en atteignant le zéro, nous ne réglerons pas le problème seuls. Ce n’est pas une raison pour ne rien faire, au contraire, nous pouvons inventer, tester et exporter des solutions. C’est dans cette logique que s’inscrit 100 leaders pour la planète : créer une dynamique de coopération internationale, avec des points d’ancrage dans plusieurs capitales, pour porter des solutions crédibles, concrètes, applicables ailleurs — et faire mentir ceux qui pensent que nos efforts sont inutiles.
Photo des témoignages

Si vous souhaitez vous inscrire aux prochaines promotions 100 Leaders pour la planète : https://100leaderspourlaplanete.fr/

Vous aimerez aussi

Ekobesta - Entretien avec une entreprise engagée

Ekobesta - Entretien avec une entreprise engagée

Chaque jour, des entreprises françaises s'impliquent activement dans la transition écologique. Des entrepreneurs engagés mènent diverses actions en faveur de la protection de la biodiversité, de la réduction de nos émissions de GES, tout en promouvant un mode de vie plus durable. En tant que média d'information, notre mission est aussi de vous partager ces [...]
Cœur et Canopée – Entretien avec une entreprise engagée

Cœur et Canopée – Entretien avec une entreprise engagée

Chaque jour, des entreprises françaises s'impliquent activement dans la transition écologique. Des entrepreneurs engagés mènent diverses actions en faveur de la protection de la biodiversité, de la réduction de nos émissions de GES, tout en promouvant un mode de vie plus durable. En tant que média d'information, notre mission est aussi de vous partager ces [...]
Dossier. Les festivals d’été : comment diffuser la culture sans faire exploser la facture environnementale ?

Dossier. Les festivals d’été : comment diffuser la culture sans faire exploser la facture environnementale ?

La saison des festivals s’est lancée avec un début d’été caniculaire, signe bien palpable du réchauffement climatique. Partout en France, les festivals rassemblent les foules et diffusent la culture sur les territoires sous toutes ses formes. Problème : la course au gigantisme de certains d’entre eux interroge sur leur impact environnemental. Alors comment conserver l’accès à [...]